Les deux Ruisseaux Léon Riffard (1829 - ?)

Au pied d'un pic, à la mine superbe,
Jaillit un filet d'eau, sonore et cristallin,
Qui s'amasse dans un bassin
Creusé dans le rocher, en plein marbre turquin
On dirait du saphir liquide entouré d'herbe,
L'eau que notre bassin ne peut pas recevoir
Coule par dessus bords, filtre par mainte fente,
S'étale en nappe sur la pente,
Et forme un peu plus bas un nouveau réservoir,
Petit lac en miniature,
Dont la neige, en fondant, vient combler la mesure.
Deux ruisseaux, enfants des hivers,
Sortis du même point, coulent en sens divers.
Sur le plan incliné d'une verte prairie
L'un se laisse glisser, parmi l'herbe fleurie,
Paisible, et de son flot, pur et silencieux,
Sous le couvert de la saulée
Qui marque le milieu de l'aimable vallée,
Se creuse un lit mystérieux.
Dans un tohu-bohu de grès et de broussaille,
L'autre, sans réussir à se faire un sentier,
Bondit, écume, se travaille,
Comme diable en un bénitier.
Fier de couler si haut, au milieu des nuages
Gros d'orages,
Il ne veut pas quitter la crête du plateau.
Mais le voici bientôt au bout de son rouleau.
Le mont qui, d'un côté, s'incline
Lentement, étage de colline en colline,
De l'autre, finit brusquement,
Fendu de haut en bas, comme par un géant,
D'un formidable coup de son grand cimeterre.
Une antique fougère,
Légendaire témoin de cet événement,
Pend au bord du gouffre béant,
Secouant aux brises marines
Moins de branches que de racines.
C'est là que notre aventureux,
Ayant fait le saut périlleux
Sous la forme d'une cascade,
Retrouve en bas son camarade
Qui sans peine, tout en flânant,
Arrive par le val au même confluent.
- Quel casse-cou ! - Quel aimable voyage !
J'en suis ravi vraiment. - Moi, je suis plein de rage ;
Rien que des roches, des cailloux,
Et des houx !
- Je n'ai vu que des pâquerettes
Qui se penchaient vers moi pour faire leurs toilettes.
- Là-haut, c'est le pays des milans, des vautours.
- Ici les papillons et les bergeronnettes
S'ébattent en suivant mon cours,
Deux à deux, folâtres amours !
- Aux quatre vents du ciel j'ai jeté mon écume
Et j'arrive à sec. - Moi, j'ai doublé mon volume.
Combien de gentils ruisselets
Me versent en passant leurs limpides filets !
Ecumer, à quoi bon ? derrière la chaumine
Il est tombé dans le canal
Où mon flot se resserre et plus vite chemine
Deux ou trois feuilles d'églantine :
Elles n'ont pas plissé mon liquide cristal.
Couler en paix, gaiement, si l'on peut, c'est l'affaire.
À quoi sert tant de bruit? à quoi sert tant de mal ?
Pour vous comme pour moi, la fin de la carrière,
N'est-ce pas toujours la rivière ?

Livre I, Fable 12






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