Le Rossignol et les crapauds Léon Riffard (1829 - ?)

Par une belle nuit, pleine d'un grand silence,
Le rossignol, au fond des bois,
Déployant tout-à-coup sa voix,
Prélude par une cadence :
Un trille velouté, perlé, délicieux,
Fait pour bercer la rêverie.
Puis il élève vers les cieux
Un chant divin, une élégie,
Pure comme la nuit, tendre comme l'amour,
Une suave mélodie
Molle et puissante tour à tour,
Et vibrante de poésie !
Aux bords du marécage, assis sur des roseaux,
Deux crapauds
Bon gré mal gré, prêtaient l'oreille.
« C'est çà ! fit l'un, cette merveille
Que les hommes, dit-on, prisent par dessus tout !
Peut-on avair si peu de goût !
- Le goût n'est plus le même, attendez! reprit l'autre,
On est las de ce vieux refrain.
Le chant du rossignol a vieilli, c'est certain,
Depuis qu'on rend justice au nôtre.
Écoutez un peu ce morceau !
Joli, je le veux bien, mais commun ! quel martyre !
On comprend tout de suite, on sent ce qu'il veut dire.
Est-ce ainsi que devrait se révéler le Beau ?
Assez, assez de cette antienne ! »
Le plus jeune reprit avec autorité :
« Mon Dieu ! disons le mot : Eh bien, en vérité,
C'est de la musique italienne !.
À ce mot, des rus, des étangs,
Et des mares en même temps,
S'élève un concert formidable.
Quelles sonorités ! Quel ensemble admirable !
Voilà nos deux crapauds en jubilation.
L'un braille tout son soûl, l'autre bat la mesure,
En criant : « Que c'est beau ! quelle orchestration !
Quels timbres ! C'est ainsi que parle la Nature ! »
Chantre inspiré, prince de l'art
O Mozart !
Comme une offrande expiatoire,
Je consacre ces vers à ta grande mémoire.

Livre I, Fable 11


14 mars 1861



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