Le Rossignol et ses Rivaux Fortuné Nancey (? - 1860)

Qui t'ouvrira les yeux, homme injuste et barbare,
Toi, que la passion égare,
Toi, qui voudrais plonger dans l'éternelle nuit,
Ceux que ta colère poursuit !
Rarement !e succès, accompagne la haine,
Et par la fable apprends, que souvent le pervers
Qui pour un ennemi, croit commander la chaîne,
Pour lui-même a forgé les fers.

L'honneur et le salut des hôtes du bocage,
Un rossignol chantait ; par son divin ramage,
On devait être heureux de se laisser charmer.
Mais contre son talent, toujours prêts à s'armer,
Les méchants opposaient à ses notes si pures,
D'impuissants, il est vrai, mais d'injustes murmures.
C'étaient le geai, la pie, et jusques au hibou,
Tout exprès sorti de son trou,
Qui, d'accord avec la bécasse,
Et cette vile populace
De pierrots,, de pinçons, toujours portés au mal,
Voulaient en lui punir un immortel rival !
Les méchants qui craignaient sa trop grande influence,
Et tous les ignorants, qu'il forçait au silence,
Résolurent enfin la perte du chanteur,
L'appelant oiseau de malheur.
Ce qu'ils voulaient au fond, leur désir véritable.,
C'était bien la mort du coupable ;
Mais à l'expédier, sans forme de procès,
Ils y regardaient de plus près.
Aussi dans cet aréopage,
On arrêta d'abord, qu'on le mettrait en cage.
Chacun sait que les rossignols,
Aux dièzes, comme aux bémols,
Disent adieu, s'ils cessent d'être libres,
Tant l'esclavage agit sur leurs sensibles fibres.
Les rois du chant dans leur noble fierté.,
Sont chantres de la liberté.
Or, à l'emprisonner, durant ce long grimoire
Qu'on nomme instruction, d'un tacet provisoire,
Le bénéfice était tout assuré;
Pour la prison tout fut donc préparé.
Les méchants ont parfois la fortune propice,
Qui plus tard leur fait bien acheter son caprice,
Cette fois de chacun exhaussant le souhait,
Comme il fut arrêté, le mal aussi fut fait.
Voilà notre chanteur comme l'on dit, à l'ombre,
Et sa sublime voix prisonnière avec lui.
Mais si de la forêt, les chants divins ont fui,
Des sons criards, qui peut dire le nombre ?
Comme la porte est libre à tous les malotrus !
Loriots et coucous, grives, merles, corneilles,
Qui sans pitié déchirent les oreilles !
Eux-mêmes ne s'entendent plus,
Tant la voix de chacun par une autre est couverte ;
Et c'est là ce qui fait leur perte.
Depuis longtemps buzes et tiercelets,
Dans les bois étaient aux aguets ;
Ils profitent du bruit, du trouble et de la joie,
Que font naître ces nouveaux chants,
Pour tomber sur tous ces méchants,
Et chacun d'eux devient leur proie.
Tandis qu'à ce commun danger,
A cette scène de carnage,
Le rossignol échappe, en bénissant la cage
Qui sait ainsi le protéger.

Livre I, fable 14




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