Souvent on voit les impuissants
Dédaigner les gens qui produisent.
Tels font mépris d'un vain encens
Qui pensent bien peu ce qu'ils disent.
Un lion, roi d'une forêt
Et déjà vieux, tomba malade.
Ce monarque était bon : chacun eut grand regret
De le voir souffrant et maussade.
- Ah ! dit un rossignol, essayons de charmer
Cette sombre mélancolie ;
Chantons et prolongeons la vie
De ce roi qui se fit aimer :
De tels monarques sont bien rares,
Car les dieux en sont fort avares.
Pas plus tôt dit, le rossignol
Prélude en dièze ou bémol,
Et, par sa musique savante,
Fait de son mieux pour réveiller
Du malade l'âme dolente...
Le lion ne fit que bâiller.
Mais s'il fut insensible à ces douces merveilles,
C'est que le mal avait engourdi ses oreilles.
Ah ! redoublons d'efforts, dit le chantre des bois...
Cependant l'auditoire applaudit cette fois.
Un seigneur s'écria : -Quel amour-propre insigne !
Ce rossignol qui se croit digne
D'amuser un mourant royal !
Sotte prétention d'un artiste banal !
Se mettre en scène et pour chanter, la belle affaire !
Ces rossignols feraient beaucoup mieux de se taire.
Ce sont des intrigants qui voudraient que leur voix
En fit les commensaux et les amis des rois.
Vite, huissier, mettez-moi cet artiste à la porte.
Le personnage altier qui parlait de la sorte,
Quoique seigneur du plus haut rang,
Était un singe orang-outang.
Le docteur ours pourtant recommanda de faire
De nouveaux efforts pour distraire
L'auguste indifférent. - C'est moi,
Dit le singe, qui vais, pour sauver notre roi,
Montrer des talents véritables :
Et je mets au dési tous ces petits oiseaux,
Rossignols, pinsons ou moineaux,
D'en faire éclater de semblables !
Il appelle ses gens. Sur huit bâtons croisés
Il s'aide à dresser une corde,
Prend une perche et sans exorde,
Fait mille bonds improvisés.
Il bat des entrechats, pirouette et s'applique
À des pas que Vestris aurait à peine osés...
Le monarque trouva ce spectacle magique ;
Il se sentit plus gai soudain,
Et l'orang qui si fort dédaignait la musique,
Fut tout fier d'être un baladin.