Un lion avait deux amis :
Un écureuil, une couleuvre.
Lequel l'aimait le mieux ? Le doute était permis ;
Mais l'ouvrier se juge à l'œuvre,
Et l'ami, tôt ou tard, aussi.
J'en vais donner la preuve ici.
Notre lion se laissa prendre
Dans un filet. Il fit entendre
Soudain d'affreux rugissements :
L'univers en trembla sur ses vieux fondements.
Mais trop de bruit n'est qu'impuissance.
Hélas ! que faire ici ? Les filets étaient forts
Et pouvaient braver des efforts
Qu'on avait calculés d'avance.
Aux rugissements du lion
L'écureuil arriva bien vite.
Moins alerte en toute action,
Le serpent ne parut qu'ensuite.
Le premier va, vient, voit, s'agite,
Cherche à rompre la corde, y renonce, y revient,
S'acharne à ronger et n'obtient
Qu'un résultat bien misérable.
Ah ! dussé-je y perdre mes dents,
Dit l'écureuil, il faut que j'entame le câble !
Le serpent arrivé s'écria : - Que de temps
Il va fallair à mon compère
Pour tirer le lion d'affaire !
Quels terribles filets ! comme ils sont forts ! Je crains
Que les ronger ne soit une chose impossible.
Pauvre et cher lion ! je le plains !
Sa fureur extrême est visible.
Mais que venait-il faire ici ?
Le chasseur est tout prêt. Hanter ce voisinage
Assurément n'était pas sage.
Que va-t-il devenir ? Ce m'est un grand souci.
Sans tant parler que la couleuvre,
L'écureuil, constamment à l'œuvre,
Choisit si bien sa place et fait si bien des dents,
Qu'un seul câble coupé, tout part en même temps.
Sous l'effort du lion une trouée énorme
Le dégage à la fin : tous deux gagnent les champs.
Le lion s'écria, parmi des pleurs touchants :
- D'un ami vrai prenant la forme,
Le serpent, à coup sûr, ne m'aimait qu'à demi :
Il vient, voit mon danger, en raisonne et soupire.
Toi, tu me sauves sans mot dire :
Voilà le véritable ami !