Le Lion et le Léopard Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

Naguère, je ne sais à quelle occasion,
D'animaux révoltés une bruyante meute
Fit à Léopolis une sanglante émeute,
Et, jusqu'en son palais, poursuivant le lion,
Disperse ses soldats, l'intimide, le presse,
Par ses clameurs enfin arrache à sa faiblesse
Le mot de constitution.
Ainsi de gouverner la nouvelle méthode
Chez les animaux même est aujourd'hui de mode,
Car ils imitent l'homme : ad exemplar regis
Totus componitur orbis.


Or, pour une cause légère,
Un des princes voisins, le sultan Léopard,
De Bellone un matin déployant l'étendard,
Aux Léopoliens vint déclarer la guerre.
Son belliqueux dessein une fois résolu,
Ce prince, monarque absolu,
A de bons conseillers avait fait confidence
De son projet, habilement conçu ;
Tout était prêt en conséquence,
Sans qu'à Léopolis personne en eût rien su.
Le roi Lion, tout au contraire,
Ayant, au bout de quelques mois,
Changé trois fois son ministère,
Le secret de l'État, divulgué chaque fois,
N'était pour personne un mystère.
Son cabinet, sans le moindre retard,
Vint à la chambre faire part
De cette inquiétante affaire :
« Contre le sultan Léopard,
Un prompt secours, dit-il, est nécessaire ;
Nous avons, dans ce cas urgent,
Besoin, messieurs, de soldats et d'argent.
- Malgré toute ma bienveillance
Envers le cabinet, » dit un chat, président
Du ministère précédent,
Je l'accuse d'imprévoyance.
Il ne fallait pas grand effort
Pour voir que le sultan, dès longtemps, à la guerre
Se préparait ; la preuve en était claire,
Et le ministère eut grand tort...
- Tort de vous remplacer, la chose est manifeste,
Réplique un fin renard, à présent au pouvair.
Le vrai coupable ici c'est vous seul, je l'atteste ;
Ministre hier encore, il fallait donc pourvoir
A ces événements, faciles à prévoir.
- Eh ! de grâce, cessez un débat si funeste !
Usons mieux du temps qui nous reste, »
Dit un dogue ; « à quoi bon ces contestations ?
Ces personnalités ? ces accusations ?
Je demande, messieurs, que, séance tenante,
Et toute autre affaire cessante,
Sur la communication
Commence la discussion.
Non, » dit un rat bavard, « l'affaire est importante,
Je réclame l'impression.
- Eh quoi ! des ennemis les nombreuses cohortes
En ce moment sont peut-être à nos portes,
Et nous perdons le temps à pérorer ! »
Repart un fier coursier, que son courage inspire ;
Il faut agir, et non délibérer.
Il ne croyait pas si bien dire ;
De terribles rugissements,
Mêlés de cris, de hurlements,
En cet instant se font entendre.
Il n'est plus temps de se défendre,
Le lion, en quelques moments,
A vu s'écrouler sa puissance.
Comment, sans secours, sans appui,
Opposer de la résistance !
Et pourtant, à présent, chacun s'en prend à lui ;
On l'entravait hier, on l'accuse aujourd'hui :
« Qu'il défende l'État, ce devoir le concerne ! ›
Tant qu'un roi peut marcher, on enchaîne ses pas ;
Il règne alors, dit-on, et ne gouverne pas ;
Mais dès qu'il est à bas, le roi règne et gouverne.

Des constitutions je fais le plus grand cas ;
C'est une belle théorie ;
Mais au jour du danger, ce n'est qu'un embarras.
L'amour-propre étouffant l'amour de la patrie,
Chacun cherche à briller dans de fâcheux débats,
Chacun pérore, chacun crie ;
Et ce gouvernement, fait pour les avocats,
Parle toujours, et n'agit pas.

Livre I, fable 20




Commentaires