De la reine Lionne on célébrait la fete ;
Le programme annonçait, en l'honneur de ce jour,
Baise-main, ou plutôt baise- patte, à la cour.
On y vit accourir mainte notable bête ;
Le tigre, l'éléphant, la panthère, étaient là,
Se pavanant en habits de gala.
Pour le peuple il fallait des plaisirs d'autre sorte ;
Il dansa, s'enivra, se battit à la porte.
Mais laissons la canaille, et rentrons au château.
Presque au même moment, le singe et le taureau
Passaient au pied du trône où se tenait la reine ;
D'un air froid et distrait, l'illustre souveraine
Reçut l'humble baiser de l'animal cornu.
Mais quand, près d'elle enfin le singe parvenu,
Avec grâce, à son tour, lui fit la révérence,
Sa Majesté sourit : « Soyez le bien venu,
« Dom Bertrand, » lui dit-elle. A cette préférence,
Maint grand seigneur cacha son dépit envieux ;
Et, moins bon courtisan, le taureau furieux
(Il est, quand il s'y met, assez mauvaise tête),
D'un long mugissement troubla toute la fête :
« Eh quoi ! » dit-il, « en toute occasion,
On nous préfère à tous un singe, un histrion !
On estime un danseur futile
Plus qu'un brave guerrier, plus qu'un ministre habile !
Pour le singe l'accueil plein de distinction ;
Pour lui, la faveur éclatante ;
Pour nous, la froideur insultante. »
- Calmez, répond la reine, un injuste courroux ;
J'honore, assurément, un guerrier tel que vous ;
Mais, à mon singe aussi, je suis fort redevable ;
Un ennemi terrible, chaque jour,
Est, par lui, chassé de ma cour ;
Et cet ennemi redoutable,
Vaincu, mis en fuite par lui,
Faut-il vous le nommer encore ? c'est l'ennui. »
Messieurs les hommes politiques,
Députés, pairs ou membres du sénat,
Laissez-là, croyez-moi, les affaires publiques
Et le pénible soin de gouverner l'État.
Apprenez à danser ; c'est le mieux, ce me semble,
Que l'on puisse faire à présent ;
Tel danseur renommé gagne plus en un an
Que tous nos ministres ensemble.