Madame la lionne un matin prétendit
Du destin changer l'équilibre :
Tout pourvoir, disait-elle au mâle, est interdit ;
La femelle doit être libre.
Elle a des ongles et des dents ;
Malheur à qui veut la combattre !
Malheur aux mâles imprudents
Qui sous eux prétendront l'abattre !
Comme elle se parlait ainsi,
Messer lion survient et veut faire le maître.
La lionne dit alors : Dieu merci,
Voici le vrai moment de me faire connaître !
Elle saute au cou du mari,
Et malgré peau dure et crinière,
Se met à l'étrangler de la bonne manière.
Le lion, vieux lutteur, au carnage aguerri,
Est surpris par la scélérate ;
A grand regret alors il lance un coup de patte.
La patte d'un lion, fût-elle de velours,
Porte un certain cachet qu'elle imprime toujours.
La lionne s'en va rampante et miaulante
Montrer à ses voisins sa blessure sanglante :
- Voyez le lâche, l'assassin !
Une faible femelle ! une amante affligée !
Sans respect, sans pudeur, lui déchirer le sein !
Par vous ou par les dieux je dois être vengée !
Voisins alors de s'assembler :
On juge, on condamne le sire.
Mais la commère aussi se gardait bien de dire
Qu'elle avait voulu l'étrangler.
Entre Sganarelle et sa femme,
Voisins, ne mettez pas le doigt.
L'abus de la force est infâme,
Mais le faible qui crie était-il dans son droit ?
Symbole :
La pire de toutes les tyrannies, c’est celle des faibles.
Il n’y a guère, en vérité, d’autre tyrannie que celle-là, car les forts n’oppriment pas, ils gouvernent. Les faibles, au contraire, ne gouvernent pas, et comment le feraient-ils, ils ne sont pas maîtres d’eux-mêmes.
Souvent la force échoue devant les séductions de la faiblesse. Puis Dalila méprise et calomnie Samson : il le faut bien pour que sa trahison ne soit pas infâme.
Deux chansons achèveront de dire sur ce sujet toute notre pensée.
LA CENDRE DES AMOURS
Le feu du ciel a dévoré l’offrande,
Fermons notre âme aux regrets superflus,
Rendons au sort ce qu’il nous redemande :
Pour nous aimer nos cœurs n’existent plus.
Ainsi la vie a ses métamorphoses.
L’amour devait nous couronner toujours,
Mais notre front a consumé les roses.
Ne troublons pas la cendre des amours (bis).
Nous respirions l’essence de la foudre,
Et nos soupirs allumaient des soleils.
L’éternité, qui n’osait nous absoudre,
Dut se fermer à des Satans pareils.
Après avoir, dans sa fête dernière,
Vu notre nuit vaincre les plus beaux jours,
Notre Babel est tombée en poussière !...
Ne troublons pas la cendre des amours (bis).
A pleins poumons soufflant une étincelle,
Enfants perdus sur le liquide amer,
Nous avons fait flamber notre nacelle,
Et les agrès ont brûlé sur la mer.
Chacun de nous s’en retire à la nage,
Par l’ouragan séparés pour toujours,
Laissons flotter les débris du naufrage.
Ne troublons pas la cendre des amours (bis).
Dans mes désirs vous n’êtes rien, madame,
Plus rien n’existe entre mon cœur et vous,
Que la vertu nous approuve ou nous blâme,
De tels amants ne pouvaient époux.
N’éveillons pas dans les sombres royaumes
Nos souvenirs endormis pour toujours :
Il est malsain d’évoquer les fantômes,
Ne troublons pas la cendre de nos amours (bis).
Séparons-nous, mais point de calomnie.
Vous étiez belle à sauver Lucifer ;
Moi, de l’amour j’incarnais le génie,
Et notre orgueil eût fait pâlir l’enfer.
Ne niez pas un passé trop sublime,
Dont les reflets nous éclairent toujours :
A des tombeaux insulter est un crime.
Ne troublons pas la cendre des amours (bis).
DALILA
La haine gronde,
Et tout un monde
Veut m’écraser… Les ennemis sont là.
Tombez, cohortes !
Brisez-vous, portes !
Je te suivrai, ma belle Dalila !
En te cherchant de rivage en rivage,
J’ai rencontré le lion du désert ;
Je le déchire, et l’abeille sauvage
A fait du miel dans son crâne entr’ouvert.
Ainsi, moi-même,
Lion qui t’aime,
Par le désir je tombe dévoré.
Combat funeste !...
Et l’amour reste,
Miel de douleur dans mon cœur déchiré.
Arme-toi donc, multitude servile,
Enferme-moi dans l’ombre à triple tour,
J’arracherai les portes de la ville
Pour les offrir à ma reine d’amour.
Que tout s’écroule,
Et que la foule
M’assiège encor de ses flots en courroux,
J’ai vu ma belle,
Je suis près d’elle,
Et je m’endors le front sur ses genoux !
De tes cheveux, qu’une tresse me lie,
Sois un démon ! sois parjure et sans foi ;
Va, mon amour a besoin de folie,
Trahis-moi donc ! Je me confie à toi.
Voici ma tête,
Qu’on te l’achète,
Je te la livre et tu peux la raser.
Sans me défendre,
Je vais me rendre,
Prêt à mourir pour un dernier baiser.
Oui, je suis fort à soulever un monde,
Mais à tes pieds je deviens un enfant,
Quand de tes yeux la lumière m’inonde,
Je suis dompté, vaincu…, mais triomphant !
Jeune infidèle,
Femme cruelle,
Livre-moi donc au fer de l’étranger
Par toi mon âme
Serait infâme,
Si je pouvais t’adorer sans danger...
Ainsi chantait Samson, puis il sommeille,
Seul, sans défense et bravant l’univers,
Les yeux crevés, l’insensé se réveille,
Il se débat…, il est chargé de fers.
Pâle et sanglante,
Mais souriante,
Sa Dalila dit : Je suis en ce jour
Son mauvais ange
Et je me venge !
J’étais jalouse !... Il avait trop d’amour !