Un lion qui n'avait plus la force d'aller à la chasse, car il était déjà bien vieux, était étendu au fond de son antre ; il se faisait passer pour malade, feignant, quoiqu'il n'en fût rien, d'avoir une respiration pénible, et s'étudiant à adoucir sa grosse voix. La renommée s'en répandit dans les repaires des bêtes sauvages ; tous s'affligeaient et le croyaient malade, et chacun venait lui faire visite. Le lion n'avait pas de peine à les saisir, et les mangeait l'un après l'autre ; sa vieillesse se passait ainsi dans l'abondance. Mais un renard mieux avisé soupçonna la chose, et se tenant à distance : « Sire, lui dit-il, comment vous portez-vous ? » Le lion répondit : « Bonjour, ô toi, qui m'es le plus cher parmi les animaux. Pourquoi ne t'approches-tu pas et me considères-tu de si loin ? Viens çà, mon ami, et égaye par tes joyeux récits mes derniers moments. — Que les dieux vous prêtent vie ! repartit le renard ; mais pardonnez si je reste où je suis : les traces de tant d'animaux me retiennent, car vous ne sauriez m'en montrer qui marquent le retour. »
Heureux qui sait prévenir sa chute, en s'instruisant aux infortunes d'autrui..