Un vieux lion, atteint de maladie,
Prit un singe pour médecin.
Celui-ci, dans l'art incertain
Qui joue à pair ou non la vie,
N'était pas habile docteur ;
Mais en revanche, il était en faveur
Près de certaine coterie
Dont il singeait l'opinion ;
Laquelle, par reconnaissance,
En tous lieux vantant sa science,
Faisait sa réputation.
Notre malade allant de mal en pire,
Dit à ses gens : Mes amis, je désire
Et je veux que, sans nul retard,
On mande ici certain renard
Qui des médecins est l'élite,
Et dont plus d'une cure atteste le mérite.
Sans fronder de cet animal
Ni le savoir ni la pratique,
Dit un des courtisans, je sais qu'en politique
Il pense on ne peut pas plus mal.
Et que m'importe ce qu'il pense !
Répond alors notre souffrant,
S'il me guérit par son talent
Et son utile expérience !
J'ai trop longtemps compromis ma santé
En écoutant un sot et frivole scrupule :
Qu'il vienne sur le champ, telle est ma volonté.
Ce lion, grâce à la nécessité,
Sut s'affranchir d'un ridicule.
Des querelles d'opinion
Dont l'intrigant se sert avec tant d'artifice,
On voit que tôt ou tard le temps et la raison
Savent réparer l'injustice.