Le Faiseur de comparaisons Joseph Barthélemy de Feraudy (1762 - 1831)

Suivant le cours d'un fleuve, une bûche flottait :
Une foule d'oisifs du bord la regardait.
Un quidam va vers eux, et leur tient ce langage :
De l'homme, voyez-vous, cette bûche est l'image ;
Aveuglément du fleuve elle suit les détours :
Le temps entraîne ainsi les humains dans son cours.
Celle-ci s'engloutit dans le sein d'Amphitrite ;
Dans les bras de la mort le temps nous précipite.
Oh ! dit l'un des oisifs, quelle comparaison !
Vous êtes, à coup sûr, dépourvu de raison.
Vous nous dites que l'homme est semblable à la bûche :
C'est nous prendre, je crois, pour de bien sottes gens.
-Vous dirai-je, plutôt, qu'il est comme une cruche
Tantôt pleine d'orgueil, tantôt vide de sens.
A ces mots il s'élève un terrible tapage ;
On gesticule, on crie, on écume de rage ;
On menace notre homme, on lui dit de gros mots,
On veut absolument le jeter dans les flots.
Attiré par le bruit, certain passant s'arrête ;
Il s'aperçoit que tous avaient perdu la tête,
Du sujet du débat se fait mettre au courant,
Et leur dit : Mes amis, voici mon sentiment :
Vous n'avez pas de cette bûche
Bien saisi la comparaison ;
Et quant à celle de la cruche,
Au quidam vous donnez raison ;
Car en vous mettant en colère
Pour prouver votre dignité,
Vous êtes pleins de vanité ;
Et par ce que vous voulez faire,
Vous ne montrez que trop aux gens
Que vous êtes vides de sens.
Surpris de ce discours, chacun reste immobile.
Celui-ci, sans s'attendre à leurs réflexions,
Part, entraîne avec lui l'homme aux comparaisons,
Et le sauve des mains de la troupe imbécille.
Apprenez, lui dit-il tout en chemin faisant,
Que qui parle beaucoup se compromet souvent,
Et qu'en public est bien fou qui s'avise
De s'expliquer avec trop de franchise.

Livre II, fable 21




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