Savoir se taire est une qualité
Que rarement on apprécie.
La trop grande loquacité
Non seulement toujours ennuie,
Mais on gagne souvent à garder le tacet.
A l'appui de ceci je vais citer un fait
Que ma mémoire à propos me rappelle.
Molière un jour, avec Chapelle,
Étant tous deux dans un bateau,
Discutaient sur les lois qui régissent le monde ;
Un frère lai, de retour de sa ronde,
Avec nos gens traversant l'eau,
Les écoutait et semblait les comprendre ;
Mais on devine bien qu'il n'y comprenait rien.
Nos disputeurs pourtant s'imaginaient entendre
Qu'il approuvait leur entretien ;
Et recommençant de plus belle,
Sitôt qu'une difficulté
Échauffait un peu la querelle,
Ils s'adressaient au père avec vivacité.
Celui-ci, d'un air fort honnête,
Hochait de temps en temps la tête.
A ce signe chacun croyait avoir raison,
Et persistait dans son opinion.
Tout en se disputant, voilà que l'on arrive,
Et qu'on aborde l'autre rive.
Le batelet à peine touche au bord,
Que sur le champ le moine sort.
Mais le batelier le rappelle
En s'écriant : Oh ! frère coupe-chou,
Vous voulez donc arriver sans le sou,
Car vous avez oublié l'escarcelle.
Étonné du ton familier
Qu'avait pris notre mercenaire
Vis-à-vis du révérend père,
Nos compagnons, à ce grossier,
Déjà faisaient un vif reproche ;
Quand celui-ci leur dit : Vous êtes dans l'erreur,
Ce n'est point un pater, c'est un porte sacoche ;
Faut-il tant se gêner pour un frère quêteur ?
A ces mots, s'écria Molière,
Mettons à profit la leçon,
Que vient de nous donner le frère ;
On peut bien dire avec raison
Qu'on gagne beaucoup à se taire.

Livre II, fable 28




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