Le Citadin et les deux Ceps Alexis Rousset (1799 - 1885)

Trop de soins deviennent nuisibles,
Ô mères, ne l'oubliez pas !
À la terreur moins accessibles,
Abandonnez vos fils à leurs joyeux ébats.
L'enfant qui tombe se relève
Pleurant un peu, puis il achève
Son apprentissage ici-bas.

Un citadin planta, dans un coin de sa terre,
Un cep fort rare à lui donné.
Notre homme était ardent. Son cœur passionné
Ne portait pas au cep un intérêt vulgaire :
Sans cesse il allait voir si sa vigne poussait ;
Il bêchait à l'entour, il arrosait ensuite.
— Prodiguons le fumier qui fait croître plus vite
Enfin chaque jour se passait
À tourmenter le cep. Pourtant le cep bourgeonne…
— Oh ! cep charmant ! — Déjà dans l'avenir il donne
De superbes raisins, n'importe la couleur.
— Ah ! redoublons de soins, de fumier, d'arrosage.
Sauvons-le de la grêle et du vent. — 0 douleur !
Avec la sève un jour le cep perd son feuillage :
Trop de soins causaient son malheur.
Pourtant, un cep beaucoup moins rare,
Presque oublié, gisait à quelques pas du mort :
Avec le temps notre homme en eut, chose bizarre !
De beaux fruits, sans le moindre effort.

Livre I, fable 5




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