Le Sommeil fut oblige
D'entreprendre un grand voyage:
Le dieu s'arma de courage ;
Il partit le dos charge
Du plus modeste bagage.
Un bâton armait sa main ;
Il dormait presque en chemin.
Et quelquefois une pierre
Faisait trébucher le dieu,
Et même plus d'une ornière
Le vit se meurtrir un peu.
Les rails et la diligence
N'étaient pas encor connus,
Et les chemins, mal tenus,
Prouvaient trop de négligence.
Enfin le Sommeil entra
Dans un bourg. Il s'y montra,
Dès l'abord, assez aimable.
On le reconnut à table
Où, bien avant le dessert,
Il s'endormit d'un bon somme.
L'aimable dieu découvert,
Près de lui vint un pauvre homme.
— Je suis, dit-il, un ami
Du doux Sommeil. En mon gîte.
De grâce, venez bien vite.
Vous me semblez endormi,
Et j'ai chez moi de la paille
Toute fraîche et de gros blé ;
Est-il de sopha qui vaille
Ce lit…. — Quand il eut parlé
Vint un grand seigneur : — De grâce.
N'écoutez pas ce manant.
Hé comment ! il a l'audace,
Le rustre, l'impertinent,
De vous offrir sa cabane
Avec de la paille ! Quoi !
Prend-il un dieu pour un âne ?
Non, non ; vous viendrez chez moi ;
J'ai la couche la plus tendre.
Là, vous pourrez vous étendre
Pour y dormir à souhait. —
— Pardonnez-moi, s'il vous plaît,
Dit le Sommeil. Je préfère
La pauvre maison de terre
Au plus splendide palais.
Vous êtes bien poli ; mais
Je donne ma confiance
Au lit du manouvrier :
Peine et bonne conscience
Font un si doux oreiller ! —
Cela dit, le Sommeil baille—
S'appuyant à la muraille
Et sur son bâton, il sort,
Va chez.son hôte… et s'endort.