Un homme riche était blasé :
Il avait sans doute abusé
De tous les plaisirs de la vie ;
Grande était sa mélancolie ;
Il n'avait plus de goût à rien :
La musique, le jeu, le bal, la promenade,
Les livres, le travail, un aimable entretien,
Tout l'ennuyait, lui semblait fade.
Qu'il était malheureux ! - J'en finirai, dit-il.
Pour moi ce monde est un exil ;
Je veux en aller voir un autre.
(Un autre vaudra-t-il pour lui mieux que le nôtre) ?
Il achète une corde ; il se rend dans un bois,
(Son testament fait toutefois)
Et se pend bel et bien. Survient un pauvre diable,
N'ayant pas le moindre comptant,
Et pourtant d'humeur agréable,
Riant de tout, toujours chantant :
Ce n'est pas un faible mérite.
Il aperçoit notre homme et le décroche vite.
Le pendu respirait encor ;
Mille soins retiennent son âme,
Qui déjà prenait son essor....
Il est hors de danger, on le plaint, on le blâme :
-Vous étiez donc bien malheureux ? -
Le plus infortuné des hommes.
Que vous manquait-il ? - Tout. - Dans le monde où nous sommes,
Il faut savoir borner ses vœux.
Vous étiez sans argent ?
J'en possède de reste.
- De reste, dites-vous ? Oui. Peste !
Ceci me fait changer de ton.
Qu'espériez-vous donc de Pluton ?
-Moins de sombre mélancolie. —
- C'est-à-dire moins de folie. -
Rien ne m'amuse. - Et moi, je suis toujours content.
Vous pourriez l'être tout autant
Que moi. Non, non, c'est impossible.
Je vais vous en dire un moyen
Dont le succès est infaillible :
Jetez - moi vite votre bien
À la rivière écus, rentes, tout. L'espérance,
Jointe au travail, bientôt calmera la souffrance
D'un cœur blasé, d'une âme où les vastes désirs
Avant peu renaîtront sans cesse... -
C'était parler avec sagesse.
La pauvreté du moins espère les plaisirs
Que ne goûte plus la richesse.