L'Homme qui court après l'Esprit Alexis Rousset (1799 - 1885)

L'Esprit, de sa nature, est un vrai sylphe, un diable :
Il est, je crois, insaisissable,
Si ce n'est cependant pour ceux qu'il aime bien.
Le poursuit-on, on n'atteint rien,
Ou moins que rien, ainsi que le dit cette fable.

Certain homme avait pour l'Esprit
Une passion malheureuse :
C'est l'amour-propre, ma-t- on dit,
Qui condamnait cet homme à cette ardeur fâcheuse.
L'Esprit, je crois, s'en amusait :
Ainsi qu'un brillant météore,
Il venait, puis fuyait bien loin, se ravisait,
Paraissait de nouveau, pour s'éloigner encore.
Si notre homme, animé de l'espoir décevant
De se parer de ce qui brille,
Atteignait quelquefois le dieu... comme une anguille,
L'Esprit glissait bientôt des mains du poursuivant.
Un jour que celui- ci s'était mis sur la trace
Du démon, il le vit entrer dans un impasse
Fort étroit. O bonheur ! je te tiens, cher Esprit ! —
Il marche doucement, pas à pas il le suit...
Le dieu s'était voilé la face.
L'autre écarte les bras et s'écrie : — Il est pris !
Je tiens l'Esprit ; venez, accourez, mes amis. —
On accourt, on regarde... ô miracle ! ô surprise !
Une femme éventée avait seule été prise...

On court après l'Esprit, on saisit la Sottise !

Livre III, fable 14




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