L'Homme qui se plaint de sa Femme Jacques Peras (18è)

Être toujours chez foi de fort mauvaise humeur
Farouche, ennuyeux et maussade,
Ailleurs soucieux et rêveur,
Avoir partout l'esprit malade,
C'est- là, je crois, peindre un mari ;
Du moins tel est le Héros de ma Fable.
Certain Quidam fort plaisamment pétri,
Avait pris femme, et femme aimable,
Morceau des plus appétissants,
Ayant un teint frais, vif, une bouche divine,
Une taille bien prise et fine,
Des yeux.... des yeux très éloquents
Dont son bourru d'époux à tort prenait ombrage :
Il s'écriait souvent, que je fuis malheureux !
Pouvait-il tenir ce langage ?
Le traître avait mille envieux,
Qui tous auraient voulu, je pense bien comme eux,
Pour un instant être à sa place.
Que l'homme est singulier ! tel bien que l'on lui faffe
Il n'est jamais content. L'Amour et la Nature
Vinrent un jour tancer Monsieur l'Epoux.
Quoi ? donc, lui dirent-ils, de quoi vous plaignez-vous,
Ingrat mortel ? Vous nous faites injure :
Comment vous n'êtes pas content
De posséder notre plus bel ouvrage ?
Une femme d'un port charmant
A qui les Dieux rendraient hommage ?
L'Epoux leur répondit, chacun aura son tour.
Madame la Nature, et vous Monsieur l'Amour,
Qui de nous est digne de blâme ?
Oui, vous avez fait beau le dehors de ma Femme
Je le sais trop pour mes péchés ;
Mais son cœur, son esprit sont à peine ébauchés.

Livre II, fable 14




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