L'Ictérique ou L'homme qui a la jaunisse Jean-Louis-Marie Guillemeau (1766 - 1852)

Un homme atteint de la jaunisse,
Très sérieusement croyait,
Que chaque chose qu'il voyait
En couleur jaune se teignait.
Voici de la nature un bizarre caprice,
S'écria-t-il, que tout est laid...
Une personne charitable
Crut qu'il fallait lui découvrir
Que c'était, de son mal, l'effet inévitable,
Et qu'il serait très-convenable
Au médecin de recourir...
Je vous trouve vraiment un plaisant personnage,
Reprit-il, d'un air furieux,
D'oser ici lutter contre le témoignage
Que je tire de mes deux yeux.
C'est parler contre l'évidence :
Oui, c'est de la raison, blesser toutes les lois,
Que de me nier l'existence
De tout ce que je sens, de tout ce que je vois.
Allez, tous vos motifs ne valent pas les nôtres ;
En avis, mon ami, vous n'êtes pas heureux.
Une autre fois, avant de conseiller les autres,
Apprenez à voir un peu mieux.

Les erreurs de nos sens mènent à l'injustice ;
Nous devons résister à leurs impressions :
Car, lorsque nous jugeons d'après nos passions,
Nous sommes plus ou moins atteints de la jaunisse.

Livre V, fable 19




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