Je vois avec regret que dans tous les cantons
On traite durement ces malheureux moutons ;
Des chiens, les harcelant d'une rude manière,
Les mordent sans pitié par devant, par derrière.
Pourquoi mener si mal de si bons animaux ?
Envers eux on a tort d'en user de la sorte ;
Je mettrai désormais tous les chiens à la porte ;
Il faut différemment conduire les troupeaux.
D'un partisan zélé de la philanthropie,
propos ; D'un homme très-humain tels étaient les
En pratique il voulut mettre sa théorie.
Conducteur d'un troupeau, dès l'aube du matin,
Sans chiens et sans houlette il se met en chemin.
D'abord entre deux murs notre gent moutonnière
Trouvant des deux côtés une forte barrière,
N'a pas à s'écarter, et marche assez bon train.
Notre apprenti berger déjà chantait victoire.
Je vais donc, disait-il, les forcer à me croire,
Ces hommes prévenus, qui, sans doute jaloux,
Osent avec orgueil me mettre au rang des sous ;
Sans peine je saurai réfuter leur science ;
Je suis fort maintenant, car j'ai l'expérience.
Il raisonnait ainsi, tout en s'applaudissant.
Mais après les deux murs se trouve un vaste champ ;
Robins moutons, poussés par le désir de paître,
S'y répandent soudain, sans écouter le maître ;
Et la troupe bêlante, inondant les sillons,
Ravit au laboureur l'espoir de ses moissons.
Courant, jurant, pestant, l'homme humain perd la tête ;
Tous ses efforts sont vains, il est au désespoir.
Je le vois bien, dit-il, je ne suis qu'une bête.
Ah ! si j'avais un chien !.... Pourquoi n'en pas avoir ?
Dit alors un passant. Il ne sut que répondre,
Car il ne pouvait plus alléguer de raisons ;
Son dangereux essai venait de le confondre.
Outré, plein de courroux contre ses chers moutons,
Le plus court fut pour lui de payer le dommage ;
Il fut, à ses dépens, forcé d'être plus sage.
Le sens de ce récit se présente d'abord :
On a beau pérorer, on a beau dire et faire,
On ne peut gouverner sans un frein salutaire ;
Tous les hommes sensés là-dessus sont d'accord.