La Mule et son Maître Théodore Lorin (19è siècle)

Méfiance est, dit-on, mère de sûreté.
J'en conviendrai ; mais cette vérité
N'est pas toujours incontestable.
Se défier est d'un homme prudent ;
Parfois il est bon, cependant,
De suivre les conseils d'un ami véritable.

Dans les détours d'une épaisse forêt,
Durant la nuit, une rétive mule,
Ignorante autant qu'incrédule,
Avec son maître cheminait ;
Quand tout à coup la défiante bête
Au milieu du chemin s'arrête.
« Je ne vais pas plus loin : où me conduisez-vous ?
Dit-elle. Ce sentier que vous me faites prendre
Va me jeter dans la gueule des loups. »
Le maître en vain voulut lui faire entendre
Qu'il n'avait aucun intérêt
À la trahir, que toujours il s'était,
La nuit, le jour, montré pour elle
Un ami sincère et fidèle ;
Que prompt à la servir comme à la protéger,
Dans ce moment encor, la soustraire au danger
Était son seul motif. Il y perdit sa peine :
L'animal résistant à tout
Mit à la fin sa patience à bout.
Voyant sa remontrance vaine,
Il l'abandonne à son malheureux sort.
Qu'advint-il en définitive ?
La mule méfiante, obstinée et rétive,
Au fond des bois trouva la misère et la mort.

Livre IV, Fable 10




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