Chez nos amis mulets, ainsi que chez les mules,
- Pour inclure chacune et chacun des bâtards, -
On trouve des sujets plus ou moins ridicules,
Celui de notre fable était un peu vantard.
Il ennuyait le monde avec sa particule,
Moins raffiné que fat, moins noble que braillard,
Plus vaniteux que fort, plus Narcisse qu’Hercule.
Je vais vous le conter, bientôt et sans retard.
À qui demandait il était intarissable
Sur les qualités de sa mère, une jument,
Sur cet exposé il était infatigable,
Vantait son côté maternel et sa maman.
Il prenait en pitié le pauvre misérable
Qui, dès le premier jour, dès le commencement,
Était né sans famille et de fait méprisable,
Se devait de porter ce poids péniblement.
À l’écouter parler, devant son auditoire
À moitié dans l’ennui, à moitié assommé,
Il aurait bien fallu le mettre dans l’Histoire ;
Personne ne semblait pourtant s’en alarmer.
Et comme le travail est chose obligatoire,
Et qu’il n’est pas permis, ici-bas de chômer
Quand on est un mulet, et sans échappatoire,
Il servait un docteur, semblait s’y conformer.
Mais pas sans maugréer, car cette indigne tâche
Ne convenait en rien à cette filiation.
Il travaillait pourtant sans chaîne et sans cravache,
Mais il rêvait toujours d’autre situation.
Au fil des mois, des ans, bien sûr, il prit de l’âge,
Ses pas devinrent lourds et, sans concertation,
Il fut vendu, cédé au meunier du village.
Pour l’auguste mulet, quelle désillusion !
C’est au pied du moulin, son nouveau territoire,
Qu’il repensa soudain à ses premiers printemps,
Et c’est son père alors qui vint à sa mémoire,
Un âne, sans aïeux, noble, pas un instant.
Il est plus d’un chemin, plus d’une trajectoire ;
Vous connaissez ceci, ce proverbe d’antan :
À quelque chose enfin, infortune est victoire
Si le sot, l’arrogant grandit durant ce temps.
Tiré de Le mulet se vantant de sa généalogie de La Fontaine.