Le Mulet et le Singe Édouard Granger (19ème siècle)

J'ai connu telles gens, qui pour un mot d'esprit,
Auraient sacrifié parents, amis, crédit.
Ici je veux montrer que quelquefois l'envie
Est la source d'où naît cette sotte manie.

Un mulet, président d'un premier tribunal,
Connu pour son savoir, son tact impartial,
Du roi lion reçut des titres de noblesse,
Plus, de riches présents ; car toujours sa hautesse
Aimait à combler de bienfaits
Tous ses souvent et vertueux sujets.
Un jour que mon mulet, dans un bel équipage,
S'en allait présider le grave aréopage,
Un singe, son rival, débita ce couplet,
Qui, parmi les badauds, eut un succès complot :
« Devant toi je m'incline, ô noble personnage !
Et salue à genoux l'éclat de ton blason,
Où brillent à nos yeux ces armes sans pareilles,
Qui sont, et pour bonne raison,
De les puissants aïeux les deux longues oreilles !... »
— Ce trait, à mon avis, mérite dos bravos,
Dit le mulot; do mémo en nos foires naguère,
Les gens applaudissaient les talents de ton père,
« Quand il dansait sur les tréteaux...»
La fin de cette histoire, à ce que l'on raconte,
Fut que tous les rieurs changèrent de côté;
Joko hué s'en fut couvert de honte.
Toi fut le prix de sa méchanceté.

Décocher de ces traits qui blessent et font rire,
Est montrer peu de sens; car ces sortes de coups
Se changent en mépris qui retombe sur nous.
Or, le plus sot esprit est l'esprit qui déchire.

Livre I, fable 10




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