Épictète et Épaphrodite Édouard Granger (19ème siècle)

Épaphrodite, affranchi do Néron,
Oubliant qu'autrefois il portait des entraves,
Devenu grand seigneur, à son tour trouva bon
D'avoir clans son palais une foule d'esclaves,
Épictète le Phrygien,
Comme on le sait, fut de ce nombre.
Un jour notre affranchi dit au stoïcien,
Lequel sous l'atrium se reposait à l'ombre :
« Ça, viens et me réponds. Veux-tu la liberté ? »
— D'un toi présent je n'ai quo faire ;
Me créer des soucis ! est-ce donc nécessaire,
Puisque je vis content dans mon obscurité ?...
— Tu sembles oublier qu'au gré de mon caprice
Je puis te torturer par quelque lent supplice,
Afin de t'arracher à ta sotte torpeur.
— Sans doute, si j'étais sensible à la douleur ;
Mais, sous ces vêtements qui couvrent ton esclave,
Sache qu'il est un homme, un homme qui la brave
Je suis à toi, c'est vrai; cependant, ô Romain !
De ton pouvoir injuste as-tu droit d'être vain ?
Si mon bras t'appartient, par l'âme je suis libre!
Tu ne peux rien sur elle, et le poids do mes fers
Ne saurait m'empêcher do franchir l'univers,
Dieu que mon corps flétri soit sur les bords du Tibre.
Lo bonheur est le but, l'objet do tous nos vœux ;
Or, ne désirant rien, je crois donc être heureux.
Tu n'en poux dire autant... » — Vraiment, tu mo fais rire
Heureux sans liberté ! Philosophe, crois-moi,
Co sophisme est trop fort, » — Mais es-tu libre, toi ?
Dans ce palais construit de marbre et do porphyre,
Nous te voyons chagrin, inquiet, soucieux.
Tu crois t'appartenir ? Une beauté t'enchaîne,
Contre los passions lu luttes avec peine ;
Les préjugés du monde, un rêve ambitieux
Te rivent aux soucis par un joug odieux.
De cette liberté, que tu prétends connaître,
Lequel donc jouit mieux, de l'esclave ou du maître ? »

L'opinion, l'usage et nos vices sont tels,
Que devant leur pouvoir il faut qu'on se soumette ;
Le plus esclave des mortels,
N'est pas l'esclave qu'on achète.

Livre I, fable 9




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