Les Muletiers et les Mulets Franz Hermann Lafermière (1737 - 1796)

Aux temps où les bêtes parlaient
(Il est notoire
Par mainte histoire
Qu’à bien dire autrefois les bêtes excellaient),
En ces temps donc un Général d’armée
(Car de l'homme dés-lors , hélas!
La main cruelle droit armée
Pour donner en d’affreux combats
Un plus infaillible trépas),
Un Général, disais-je, étant donc fort en peine
De se voir arrête tout court dans une plaine,
Voulut savoir absolument
D’où venait cet empêchement.
C'est, lui dit-on, d'une querelle
De Mulet à Muletier,
Gens têtus de leur métier.
Le Général devant lui les appelle.
Mulets et Muletiers ouis.
Dans leurs dits et leurs contredits,
Et vu des Muletiers l'ivrese,
Vu le poids de la cargaison
Qui les pauvres Mulets oppresse,
Les énormes coups de bâton
Donnés à tort, donnés sans cesses
Et main grief de cette espèce,
Que de rapporter tous il serait un peu longs
Il parut avec évidence
Aux yeux de toute l’audience,
Que, tant à la forme qu’au fond,
Les bêtes (les Mulets) en plein avaient raison.

Le Général s’emporte et jure
Par Pollux et Castor.
Voila qui me déplait bien fort.
C'est la centième procédure.
Au moins de la même nature
Que je vois, et dans ce discord
Les Muletiers ont toujours tort.
Quoi donc ? Est-il dans sa nature
Que dans toute la conjecture
Il faille trouver d’abord
Que l'injustice et l'injure
Viennent toujours du plus fort.

Fables et contes dédiés a Son Altesse Impériale Monseigneur le Grand Duc, Livre I, Fable X




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