Le Mulet et le Baudet Stop (1825 - 1899)

Nous sommes tous pétris de vanité ;
Tout nous est bon pour nous en faire accroire ;
Même de ses défauts chacun est enchanté
Et pour un rien s'en ferait gloire.

François Aliboron un jour se promenait
Avec Anatole Mulet,
Son ami d'enfance ;
Pénétrés réciproquement
De leur personnelle importance,
Chacun vantait éloquemment
Sa prépondérance.
« Moi, dit l'Âne, aisément je pourrais présumer
Que mes aïeux furent illustres ;
Dans tous les cas, ils n'étaient pas des rustres,
Hautement je puis l'affirmer !
Mon bisaïeul était un baudet de Syrie,
Qu'on appelait Ali, dans sa patrie ;
Le fameux général Boron
Le ramena d'Alexandrie ;
De là le nom d'Aliboron
Qui, depuis lors, à ma famille
Fut acquis, avec l'estampille
D'un acte officiel légal et régulier ;
C'était sous l'empereur Napoléon premier
— Ah oui, noblesse de l'Empire ! »
Fit l'autre avec un dédaigneux sourire :
« Eh bien, ma mère la Jument
Conserve précieusement
Un arbre généalogique
Daté d'avant la République,
Où sont tout au long relatés
Les hauts faits, dûment constatés,
D'un mien ancêtre à la croisade.
— C'est possible, mon camarade »
Riposta l'Ane un peu piqué;
« Mais on a souvent remarqué
Que pour voir un beau sang tomber en décadence
Il suffit bien souvent d'une mésalliance.
Ma mère était Anesse, et point ne m'en défends !
Ma femme est ma pareille et m'a fait douze enfants
Qui tous, vrai portrait de leur père,
Sont pleins d'esprit et bien portants.
En feriez-vous autant,, mon frère ?
— Je vous entends ! C'est vrai, je suis célibataire »,
Dit le Mulet en soupirant ;
Le Créateur, évidemment,
Ne m'a pas fait pour le ménage ;
Mais j'y trouve cet avantage
De ne pas être, quelque jour,
Ce que, sans phrase ni détour,
Exprime le nommé Molière.
En diriez-vous autant, compère ? »

Parfois du plus méchant procès
Un mot dit à propos peut faire le succès.

Fable 22




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