À son maître, un roquet de certaine importance
Se plaignait vivement ; il disait : Autrefois
J'étais bien mieux nourri, j'avais double pitance,
Et l'on veut aujourd'hui me réduire aux abois ;
Ce rustre de Mouflar obtient la préférence :
Et pourquoi préférer un chien de basse-cour,
Qui ne sait qu'aboyer et la nuit et le jour,
Tandis que l'on me voit si plein de prévenance,
Flatter et caresser les gens de la maison ?
Sans cesse à tes côtés couché dans le salon,
Ne te donné-je pas des preuves de mon zèle ?
Ne suis-je pas pour toi l'ami le plus fidèle ?
Que veut dire ceci ? repartit le patron ;
Je le vois à regret, tu te plains sans raison,
Et de te le prouver il me sera facile.
Gardien courageux, Mouflar se rend utile,
Fait très bien son service, et remplit mes souhaits ;
Il doit avoir aussi des droits à mes bienfaits.
Faudrait- il, selon toi, doubler ta nourriture,
Et que ce bon Mouflar fût privé de pâture ?
Il vit si sobrement ! ne mange que du pain ;
Il est chien comme toi, doit-il mourir de faim ?
De la part de son maître entendant ce langage,
Le roquet écumait de colère et de rage.
A Mouflar, disait-il, vouloir me comparer !
Comment jusqu'à ce point a-t-il pu s'égarer ?
Il est entre nous deux bien grande différence :
Notre maître est tombé, j'en suis sûr, en démence.
Chacun de nous dira : Le roquet avait tort.
Ses procédés pourtant sont semblables aux nôtres,
Nous sommes avec lui parfaitement d'accord :
Nous voulons obtenir au détriment des autres.