Un riche amateur d'animaux
Avait à sa campagne une ménagerie.
Cet homme en était fou ; mais sa bête chérie
Était un Écureuil, sémillant et dispos,
Qu'il exaltait à tout propos.
--Comme il tourne en sa cage, où l'œil le suit à peine !
S'écriait-il ; voyez quelle vivacité !
S'agit-il de grimper à la cime d'un chêne,
L'oiseau même n'a pas plus de légèreté.
Mais, chose non moins étonnante,
De l'écorce d'un arbre il se fait un bateau,
De sa queue en panache une voile flottante,
Et traverse ainsi l'onde, Argonaute nouveau.
Est-ce tout ? Non vraiment : son oreille est unique
Pour la danse et pour la musique.
C'est en ces mots que de son Écureuil
Le Maître infatué vantait le savoir-faire ;
Et le mignon (hélas ! c'est l'ordinaire)
En était tout gonflé d'orgueil.
Il voyait en pitié ses autres camarades,
Quelquefois même s'en moquait,
Ne ménageant pas plus un oiseau des Barbades,
Joli causeur : c'était un charmant Perroquet,'
Longtemps chéri d'une jeune sultane,
Mais qu'on avait chassé de la cour ottomane
Pour avoir eu trop de caquet.
Ainsi donc, abusant de la faveur du Maître,
L'Écureuil au logis mettait tout en rumeur.
L'Intendant même un jour, avec un ton d'humeur,
Dit qu'il lui ferait faire un saut par la fenêtre ;
Car il l'avait nargué vingt fois,
En lui jetant au nez ses coquilles de noix.
Chacun dans la maison conspirant à sa perte,
L'occasion en est bientôt offerte.
Le Maître s'absente un matin
Pour entreprendre un long voyage.
Il part ; notre Écureuil n'en devient pas plus sage ;
Que dis-je ? il est encor plus insolent, plus vain ;
Si bien qu'en son courroux l'Intendant, à la fin,
Va trouver l'animal enfermé dans sa cage.
-Je vous tiens donc, dit-il, ô mon charmant bijou !
A tout le monde ici vous avez fait outrage ;
Je viens, petit sultan, pour vous tordre le cou. -
L'Écureuil d'abord se récrie ;
Demande grâce ensuite, et convient de ses torts :
Serviteur à sa seigneurie !
L'Intendant le saisit au corps,
Le secoue avec violence,
Et, malgré ses raisons, malgré ses cris perçants,
Il lui laisse à peine le temps
De mettre ordre à sa conscience.
Le Perroquet alors, profitant du loisir,
Lui dit : Mon beau mignon, ceci vous fait connaître
Que l'on n'a pas assez de l'amitié du maître,
Si l'on n'y joint encor la faveur du visir.