Les deux Nègres et le Maître Joseph Barthélemy de Feraudy (1762 - 1831)

Deux nègres, débarqués de la côte d'Afrique,
Se trouvèrent placés chez un riche marchand ;
L'un et l'autre bientôt se mirent au courant
Des détails journaliers qu'exigeait la boutique.
De leur activité le maître était content ;
Mais tous deux n'avaient pas le même caractère :
L'un fort modestement employait son salaire,
L'autre mu je ne sais par quelle ambition,
Voulait être au-dessus de sa condition ;
D'un vain luxe il aimait tellement l'étalage,
Que, s'il l'eût pu, le drôle aurait pris équipage.
J'en connais qui ne sont pas plus sages que lui :
De dame vanité la nombreuse famille,
Dût-on nous accuser de médire d'autrui,
Disons-le franchement, dans le monde fourmille.
On eut beau là-dessus lui donner des conseils,
Le blâmer de ne pas imiter ses pareils,
Il eut l'air d'écouter, mais n'en tint aucun compte ;
Si bien qu'après l'orgueil, à son tour vint la honte ;
Car par ses créanciers notre nègre arrêté,
Dans le fond d'un cachot sans pitié fut jeté.
Le maître voulut bien lui prêter assistance ;
Sur son futur salaire il lui fit une avance,
Obtint par ce moyen qu'on le mît hors de cour.
Mon ami, lui dit-il dès qu'il fut de retour,
Quoique cette leçon déjà soit assez bonne,
Écoute celle-ci, c'est moi qui te la donne ;
Tâche, pour ton profit, d'en bien saisir le sens :
Croire, par un vain luxe, en imposer aux gens,
C'estvouloir t'abuser ; car, beau, laid, gras ou maigre,
Tu ne seras jamais, aux yeux de tous, qu'un nègre.

Livre I, fable 17




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