L'Ictérique et le Jaloux Louis-Maximilien Duru (1804 - 1869)

Deux affligés se lamentaient ensemble.
L’un avait la jaunisse et l’autre était jaloux,
Deux maux dont le second est commun parmi nous
Et beaucoup au premier ressemble.
— Ah ! disait l’Ictérique, à présent, qu’à nos yeux
Nature est triste et monotone !
C’est toujours et partout la couleur de l’automne.
Autrefois je voyais tant d’arbres gracieux
Parer les champs de leur fraîche verdure !
Mais aujourd’hui les bois, les fleurs, l’onde si pure
N’ont plus qu’une même couleur.
Tout est changé dans la nature ;
De la morte saison tout revêt la pâleur.
— Mon bon ami, c’est une erreur,
Dit le Jaloux. Vous avez la jaunisse :
Ce mal porte à vos yeux un triste préjudice ;
Car tout a du printemps conservé la fraîcheur.
Mais, plût au Ciel que les êtres sans vie
Eussent un aspect moins pompeux,
Et que le cœur de l’homme, autrefois vertueux,
Ne vît pas sa grâce flétrie !
Vous connaissez Lucas : naguère je l’aimais ;
Nous étions comme les deux frères,
Et nous devions ne nous quitter jamais ;
Mais, trop enflé de ses succès,
Il fait le dédaigneux, ses paroles sont flères
Et je ne puis plus le sentir.
— Vous êtes jaloux, sans mentir,
Dit le malade, et c’est la cause
Qui vous montre tout autre chose
Que les qualités de Lucas.
Soyons francs, et veuillez ce que je vous propose.
L’un et l’autre nous n’avons pas,
Pour bien juger, le sens propice.
Moi, je le crois, j’ai la jaunisse,
La jaunisse des yeux, et vous,
La jaunisse du cœur ; car vous êtes jaloux.
Faisons un pacte. A vos yeux je me fie,
Vous, fiez-vous à ma candeur.
La nature aura sa fraîcheur,
Et Lucas, vu sans jalousie,
Sera toujours l’ami de votre cœur.

La passion doit garder le silence,
Ou sa bouche prononce une injuste sentence.

Livre I, fable 5




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