Le Rossignol et les Oiseaux jaloux Romain Nicolas du Houllay (début 19è)

Le jour qui vit de la première aurore
Les tendres feux éclairer l'univers,
Sous la feuillée et les fleurs vit éclore
Le peuple ailé qui règne dans les airs :
Le même jour aussi vit naître l'harmonie.
Mais, qui l'eût cru ? sous son berceau
Naquit au même instant la sombre et pâle envie,
Contr'elle secouant son sinistre flambeau.
De leur existence nouvelle
Les oiseaux à l'envi, par de tendres concerts,
Remerciaient l' auteur de l'univers ;
L'homme les admirait : la seule Philomèle
Ne chantait pas encor.
Enfin à son gosier elle donne l'essor.
Tout se tait à l'instant ; la nature elle-même
Semble imposer silence à ses propres échos.
Tout à coup transporté d'une fureur extrême,
Et de la jalousie éprouvant tous les maux,
Vers la voûte azurée
Un peuple d'envieux,
Troupe désespérée,
Pousse les cris les plus affreux.
L'écho de la salle éthérée
Répète des jaloux les sifflements aigus ;
La voix du rossignol n'en est point altérée,
Mais ses accords touchants ne sont plus entendus.
À la fin, ce sabbat, cet horrible tapage,
Epuise ses auteurs, s'éteint avec leur rage ;
Et Philomèle voit ses sublimes accents
Depuis ce temps survivre à leurs cris impuissants.
Tôt ou tard le génie
Perce par son éclat les nuages obscurs
Elevés contre lui par la main de l'envie,
Et foule aux pieds le monstre et ses serpents impurs.

Livre I, fable 1




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