Un jour le long d'un blé deux fourmis cheminaient,
En cheminant toutes deux raisonnaient ;
Car que faire en voyage, à moins qu'on ne raisonne ?
Nos pèlerines donc trottinaient en causant
De tout ce qui les environne,
Après avoir jasé du passé, du présent,
Même aussi sur l'état, fait, dit-on, quelque glose,
Loué, repris, approuvé, contredit,
Et du prochain sur-tout un peu médit,
Sur leur espèce enfin l'entretien se repose.
On s'admire, on se vante : est-il dans l'univers
Être qui sache avec plus d'industrie
Se bâtir des cités, et braver les hyvers ?
Elles ont inventé la riche économie.
C'est chez leurs aïeux qu'autrefois,
Encore barbare et sans lois
La gent abeille
Du plus hardi des arts puisa les éléments,
Forma ses mœurs, acquit enfin ses beaux talents
Qui du monde en ont fait la seconde merveille.
D'ailleurs le genre fourmilion
Est le seul sur qui la nature
Répand ses dons outre mesure :
Et comment en douterait-on
Quand elle a condamné le premier des reptiles,
L'homme, à rendre pour nous les campagnes fertiles ?
Le discours s'élevait. Soudain sillonnant l'air,
Chassant aux moucherons dans les champs d'éther
Une hirondelle fond sur les deux voyageuses,
Et porte à ses petits ces fières raisonneuses.
Vains mortels, vils jouets d'un fol et sot orgueil,
La mer où vous voguez renferme maint écueil
Où, malgré votre haute et rare suffisance,
Se brise à l'imprévu votre frêle existence.

Livre I, fable 2




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