Quelques fourmilions avaient creusé leurs trous
Tout auprès d'une fourmilière :
L'endroit était choisi de fort bonne manière,
Et propre à faire de bons coups.
Pour en être plus sûr, l'insecte fourmivore
S'était mis au travail longtemps avant l'aurore ;
Si bien que les pauvres fourmis,
En s'éveillant, ne savaient pas encore
Avoir si près leurs ennemis.
Or, voilà qu'une compagnie
De ce peuple laborieux,
Dès que l'aube eut blanchi les cieux,
Se mit en marche, bien unie,
Pour aller en différents lieux
Chercher matériaux, brins de paille jaunie,
Provisions de bouche ; objets tous précieux
Pour le commun service et l'usage pratique
De la petite république...
Celle, dans le détachement,
Qui passait pour la plus habile,
Conduisait la troupe docile,
Et cheminait seule en avant.
Elle allait donc paisiblement,
Quand tout-à-coup le pied lui glisse,
Le sable roule sous ses pas,
Et l'entraîne en un précipice
Où le fourmilion avait tendu ses lacs.
Le cruel à l'instant s'élance sur sa proie,
La saisit, la serre avec joie,
En disant : « Qu'elle est grosse ! Oh ! l'excellent repas ! »
Mais il comptait ainsi, comme on dit, sans son hôte :
« À moi, mes sœurs ! s'écria la fourmi,
Sitôt qu'elle eut connu sa faute ;
À moi, mes sœurs, c'est l'ennemi ! »
Alors vous eussiez vu la cohorte rapide,
Pleine de courage et d'ardeur,
Voler au secours d'une sœur,
Assaillir l'insecte perfide,
A tous ses membres s'enlacer,
Piquer, transpercer son égide,
Et l'écraser, et le presser
Sous les débris de l'édifice
Construit par sa noire malice.
Cependant, le fourmilion
Criait en vain : « A moi, mes frères ! »
Ceux-ci, cachés dans leurs tanières,
Vivant chacun pour soi, sans nulle émotion,
Auraient laissé périr confrères et compères ;
Mais ils furent punis de leur inaction.
Du vaincu le cri de détresse
Éveilla des fourmis toute l'attention :
« Il n'est pas seul ! fut la réflexion
Que fit chacune avec sagesse ;
Avertissons nos sœurs d'avoir précaution,
Et hâtons-nous, car le temps presse. »
Cet avis fut donné soudain :
Du piége les fourmis alors se défièrent,
Avec soin elles l'évitèrent,
Et les fourmilions moururent tous de faim.
Fourmis actives et gentilles,
Sage petite nation,
Vous savez donc que l'union
Fait la force dans les familles !