Les Fourmis et la Sauterelle Étienne Azéma (1776 - 1851)

Des Fourmis travaillant sous terre,
A force de miner, se creusèrent un trou
Large comme la main, chétive fourmilière ;
Une mouche en entrant s'y fût cassé le cou ;
Mais c'était à leurs yeux un immense hémisphère.
Il arriva que l'eau du ciel,
En tombant goutte à goutte, inonda leur patrie,
Voilà l'attaque au camp. On se sauve, on s'écrie :
C'est le déluge universel !
Nos Myrmidons fuyaient à travers les campagnes,
Jetant l'épouvante en tout Heu ;
Et plus d'un fuyard même, en gagnant les montagnes,
Recommanda son âme à Dieu,
« Où courez-vous ainsi ? dit une Sauterelle,
Allez-vous en pays lointain ?
— Vous ne savez pas la nouvelle ?
— Non. — Le monde touche à sa fin.
— Comment ? — Formipolis est déjà submergée,
Les réservoirs d'en haut partout se sont ouverts.
Voici que l'Océan, l'Asow, la mer Egée,
Toutes les mers enfin vont couvrir l'univers.
— Je ne vois pas cela, dit l'autre. La nature
Me semble aller son train ; l'air est pur et vermeil ;
Et nous n'avons, je pense, à craindre autre aventure
Que quelques forts coups de soleil.
Tranquillisez-vous donc, mesdames les crédules,
Un nuage en passant a noyé vos logis ?
Eh bien ! recommencez, creusez d'autres cellules ;
Et croyez que le Ciel n'en veut pas aux Fourmis.

Beaucoup de bruit pour rien, c'est chose fort commune,
Et bon nombre de gens sont Fourmis sur ce point.
Au moindre événement que leur fait la fortune
Le ciel est courroucé, Jupiter n'en dort point ;
Vous diriez qu'il s'agit des Romains et des Parthes ;
Je crois voir un marmot d'enfant
Crier : Tout est perdu ! quand un souffle de vent
Renverse son château de cartes.

Livre I, Fable 18




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