La Serpe et le Serpent Louis-Maximilien Duru (1804 - 1869)

Un jardinier, par aventure,
Oublia sa Serpe, et partit.
Un Serpent, près de là, veillait sous la verdure.
Il l’aperçut. Dès qu’il la vit :
— Que fais-tu là, dit-il, instrument de carnage ?
Est-ce moi que tu viens aujourd’hui maltraiter ?
La Serpe lui répond : — Mais pourquoi t’irriter ?
Ai-je causé quelque dommage ?
— Eh quoi ! tous ces arbres si beaux
N’ont-ils pas, sous tes coups, vu tomber leurs rameaux ?
Tu ne respectes rien. Le plus riche feuillage
Et les scions gracieux et nouveaux
Qui promettent le frais ombrage,
Tu n’as de paix, ni de repos,
Que tu n’atteignes tout de ton mortel outrage !
— Serpent, Serpent, ton langage est trompeur.
Je coupe la branche stérile,
Je donne au tronc plus de vigueur ;
L’arbre, qu’en apparence aujourd’hui je mutile,
Débarrassé d’une charge inutile,
A l’automne aura plus de fruits.
Va, je comprends la cause de tes cris.
Tu rampes dans la fange impure,
De ton venin tu souilles la verdure ;
Tu siffles dans l’obscurité,
Et, du milieu de l’ombre, atteignant l’innocence,
Tu n’as pour toi que ta malignité
Et le poison que ta langue me lance.
Si tu n’étais pas si méchant,
Si tu voulais être bon sur la terre,
Tu ne craindrais pas mon tranchant,
Et je ne devrais pas te déclarer la guerre.

Presque toujours nos jugements
Nous sont dictés par nos penchants.

Livre I, fable 7




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