Le Héron et les Poissons Jacques Peras (18è)

Sur le bord d'un Etang couché sur le Gazon,
Ces jours derniers j'aperçus un Héron,
Qui fort content de sa maigre figure,
Gravement s'avança dans l'eau ;.
Et je vis sur le champ un fingulier Tableau,
Sans doute peint des mains de la Nature :
Enfin je vis quantité de Poissons
Quitter leurs humides maisons,
Nager d'une vitesse extrême,
Et venir faire un cercle autour de notre Oiseau.
Pour moi ce fait était nouveau ;
Il m'inquiétait fort, et c'était un problème
Dont je brulais de m'éclaircir ;
Mais il n'était pas tems. Pour calmer mon désir
J'aperçus le Héron avec indifference
A l'eau mettre le bec, empaumer un poisson,
S'envoler à quelque distance,
Et là croquer sa proye. Ah ! ah ! belle leçon,
Dis- je tout bas, pour ce peuple imbécile !
Comment il vient d'un air humble et docile
Faire sa cour à ce Tyran,
Qui pour récompenfer de l'honneur qu'on lui rend,
Mange les gens ? Il leur apprend à vivre,
Je crois qu'ils n'y reviendront plus.
Je raisonnais tout seul, j'allais encor poursuivre
Et m'endormir de propos superflus ;
Car quand on réfléchir, que de moments perdus !
Allons au fait. Nous emplissons la marge,
Et ma fable n'avance pas.
Les Poissons avaient pris le large,
Le Héron revint à la charge.
La grandeur pour ce peuple a donc bien des appas !
Avec encor plus de vitesse
Les stupides Poissons retombent dans l'erreur ;
La Carpe, le Goujon, le Brochet tout s'empresse
D'aborder le Héron, et veut avec ardeur
Gueule béante admirer sa Grandeur,
Qui sans autre cérémonie
Vous en gobe encore an. Fort bien !
Alors je me lève et lui crie,
Que fais-tu donc, cruel ? Mais je ne conçois rien
A tes desseins ? tu n'es que tyrannie ;
Quoi ! dévorer ces pauvres animaux
Qui font charmés de ta présence ?
L'avaleur de Goujons, tout boufsi d'arrogance,
Me répondit ces mots :
C'est une vile populace
Qui près de moi vient se ranger,
A qui je fais beaucoup de grâce
Quand d'un regard je veux la protéger,
Et qui par- tout me suivroit à la trace
Quoique certaine du danger.

On peut juger par cette Fable
Que Messieurs les Poissons n'ont guère de bon sens
Cela leur est très pardonnable ;
Mais vous, Messieurs les Courtisans,
Et vous Peuple de tout étage
En faites-vous voir d'avantage ?

Livre II, fable 15




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