Sur le bord d'un Etang couché sur le Gazon,
Ces jours derniers j'aperçus un Héron,
Qui fort content de sa maigre figure,
Gravement s'avança dans l'eau ;.
Et je vis sur le champ un fingulier Tableau,
Sans doute peint des mains de la Nature :
Enfin je vis quantité de Poissons
Quitter leurs humides maisons,
Nager d'une vitesse extrême,
Et venir faire un cercle autour de notre Oiseau.
Pour moi ce fait était nouveau ;
Il m'inquiétait fort, et c'était un problème
Dont je brulais de m'éclaircir ;
Mais il n'était pas tems. Pour calmer mon désir
J'aperçus le Héron avec indifference
A l'eau mettre le bec, empaumer un poisson,
S'envoler à quelque distance,
Et là croquer sa proye. Ah ! ah ! belle leçon,
Dis- je tout bas, pour ce peuple imbécile !
Comment il vient d'un air humble et docile
Faire sa cour à ce Tyran,
Qui pour récompenfer de l'honneur qu'on lui rend,
Mange les gens ? Il leur apprend à vivre,
Je crois qu'ils n'y reviendront plus.
Je raisonnais tout seul, j'allais encor poursuivre
Et m'endormir de propos superflus ;
Car quand on réfléchir, que de moments perdus !
Allons au fait. Nous emplissons la marge,
Et ma fable n'avance pas.
Les Poissons avaient pris le large,
Le Héron revint à la charge.
La grandeur pour ce peuple a donc bien des appas !
Avec encor plus de vitesse
Les stupides Poissons retombent dans l'erreur ;
La Carpe, le Goujon, le Brochet tout s'empresse
D'aborder le Héron, et veut avec ardeur
Gueule béante admirer sa Grandeur,
Qui sans autre cérémonie
Vous en gobe encore an. Fort bien !
Alors je me lève et lui crie,
Que fais-tu donc, cruel ? Mais je ne conçois rien
A tes desseins ? tu n'es que tyrannie ;
Quoi ! dévorer ces pauvres animaux
Qui font charmés de ta présence ?
L'avaleur de Goujons, tout boufsi d'arrogance,
Me répondit ces mots :
C'est une vile populace
Qui près de moi vient se ranger,
A qui je fais beaucoup de grâce
Quand d'un regard je veux la protéger,
Et qui par- tout me suivroit à la trace
Quoique certaine du danger.
On peut juger par cette Fable
Que Messieurs les Poissons n'ont guère de bon sens
Cela leur est très pardonnable ;
Mais vous, Messieurs les Courtisans,
Et vous Peuple de tout étage
En faites-vous voir d'avantage ?