L'Homme et le Chêne Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

Déjà deux fois avait paru l'aurore
Depuis qu'octobre avait fini son cours,
Et les gémissements de la cloche sonore
Annonçaient aux mortels le plus triste des jours.
Tout portait l'âme à la mélancolie ;
Le vent soufflait avec furie,
Et, perçant avec peine une humide prison,
Le soleil, d'un jour sombre, éclairait l'horizon.
Un homme, aussi dans son automne,
Errait alors, sans but, au sein d'un bois épais.
Pour son cœur, déchiré par de cuisants regrets,
Ce spectacle qui l'environne,
Ce deuil universel n'était pas sans attraits.
Un moment abrité sous les branches d'un chêne,
Parmi les sifflements du vent qui se déchaîne,
Il a cru distinguer des soupirs, des sanglots,
Et bientôt, prodige incroyable !
Le chêne, en gémissant, fait entendre ces mots :
« - Combien mon sort est déplorable !
Que sont devenus mes rameaux,
Naguère encor si verdoyants, si beaux !
Et répandant au loin tant d'ombre et de mystère ?
Feuille à feuille, ils jonchent la terre.
Dépouillé, sans défense, et de sève épuisé,
Aux rigueurs de l'hiver je vais être exposé. »
— Ah ! » dit l'homme, « ton sort à mon destin ressemble !
Hélas ! ce n'est pas sans raison
Que ce triste jour nous rassemble.
Brillant, heureux aussi, dans ma belle saison,
Je crus au dévouement sincère,
Qui de nos maux réclame la moitié ;
Au bonheur d'être époux, à celui d'être père ;
Je crus à la tendre amitié,
Au mutuel penchant ; il est si doux d'y croire !
Au touchant intérêt, à la douce pitié.
Je rêvai d'amour et de gloire.
J'espérai qu'à mes jours survivrait ma mémoire
Et que, dans plus d'un cœur, mon souvenir, mes traits,
Étaient trop bien gravés pour s'effacer jamais.
Folles illusions, que la jeunesse accueille !
Sans attendre l'hiver, vous tombez feuille à feuille ;
A peine en mon automne, il ne m'en reste plus,
Et c'est moi qui survis à mes rêves déçus.
Bel arbre, ton destin n'est pas aussi funeste ;
Ton deuil est passager, l'espérance te reste ;
C'est à moi seulement de gémir sur mon sort.
Pour toi, bientôt l'hiver au printemps fera place,
Tu renaîtras ; et moi ! l'hiver qui me menace,
N'aura de terme que la mort. »

Livre III, fable 14




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