Par un beau clair de lune, au pré Binet,
Des gamins chef-d'œuvre grotesque,
Un homme de neige prônait
Sa taille à ses yeux gigantesque ;
Pensez un peu : quatre pieds de hauteur !
Il narguait sa modeste sœur
Qui, n'arrivant pas à trois pouces,
Comme un linceul de mort de sa triste blancheur
Voilait au loin les herbes rousses.
Un vieux buisson d'assez mauvaise humeur,
Qui près de là se sentait se morfondre
De voir que celle-ci fût si lente à répondre,
Toisait de haut en bas le grand homme impromptu
Qu'il avait hâte de confondre.
<< Ça, lui dit-il, finiras-tu ?
Il te convient, ma foi, d'être si fier ! Mais celle
Que tu vas dédaignant de plus belle en plus belle,
Pour t'élever, il t'a fallu
La dépouiller, sans quoi tu n'eusses jamais su
Monter d'un fétu plus haut qu'elle.
Tu t'en es tenu là, croira-t-on ? bagatelle !
À la sourdine je t'ai vu
(Laissant partout le sol à nu sur ton passage),
Pour amasser de quoi te faire un personnage,
En te roulant chiper, comme un piètre filou,
Un bois sec, une feuille, un brin d'herbe, un caillou !
Que dis-je ! la colère à la tête me monte...
Fi ! monsieur le haut à la main,
Pour t'agrandir d'autant je t'ai vu prendre, ô honte !
Jusqu'aux ordures du chemin !
Mais gare cette nuit, le vent souffle à la fonte :
S'il te laisse debout, au revoir, à demain. »
Opulents parvenus de notre époque insigne,
Peut-être en ce moment quelque langue maligne
Dit que ceci s'adresse à vous ; n'en croyez rien,
C'est pure jalousie : à vos dépens moi faire
Un jugement si téméraire !
Pour cela, Dieu merci, je suis trop bon chrétien.