La grue, obéissant à l'instinct qui la guide,
Passe sa vie à voyager.
Or, traversant unjour Éléphantide,
Le monarque du lieu voulut interroger
Cette voyageuse intrépide.
« - Si, comme on me l'a rapporté,
Dit la puissante majesté,
Vous avez visité les quatre parts du monde,
Racontez-moi, sur la terre et sur l'onde,
Ce qui vous a paru digne d'attention.
Quand on a beaucoup vu, l'on a beaucoup à dire.
Je lis souvent, j'aime à m'instruire ;
Votre heureuse arrivée est une occasion
Dont je veux profiter : causer vaut mieux que lire. »
Notre touriste, à ce flatteur propos,
Sourit, d'un air capable, et commence en ces mots :
« De tous les pays de la terre,
C'est l'Égypte que je préfère ;
Aucun lieu n'est plus de mon goût. »
- Ce qui vous y charme surtout,
Ce sont, dit l'éléphant, les hautes pyramides
Qui de ses Pharaons attestent le pouvair ? »
- Non pas, » reprit l'oiseau, je partis sans les voir.
Mais ses terres, grasses, humides,
Quand le Nil se retire, offrent, à chaque pas,
Les vers les plus dodus et les plus délicats.
Nulle part je n'ai fait une aussi bonne chère.
L'Attique encor eut le don de me plaire ;
J'y séjournai trois mois ; j'habitais un marais
Où fut jadis un temple de Cérès. »
- Et peut-être d'heureuses fouilles.
Offrirent, » dit le prince, « à vos regards surpris
Du ciseau grec les précieux débris ? »
— Non, sire, j'y trouvai d'excellentes grenouilles, »
Réplique l'animal gourmand.
En Chine... - C'est assez, » interrompt l'éléphant,
Terminons là cette entrevue.
En voyageant, j'avais à tort jugé
Que vous seriez savante devenue ;
Mais je vois qu'une grue est toujours une grue,
Même après avoir voyagé. »
Ace stupide oiseau n'êtes-vous pas semblables,
Dites-moi, messieurs tels et tels ?
De vos voyages éternels
Quels sont les fruits ? un seul : vous revenez capables
De nous dire, en tous lieux, quels sont les bons hôtels
Et les restaurants confortables.