Les lions autrefois eurent leur Alexandre,
Qui s'érigeait pour monuments,
Non pas des montagnes de cendre,
Mais bien des amas d'ossements.
Ce lion, fatigué de chasse et de carnage,
Et sentant venir le grand âge,
Avisa qu'il était saison
De gouverner avec raison.
Quelqu'un lui dit : - Consultez l'homme.
- Qui ! l'homme, ce sot animal
Prêchant toujours le bien, faisant toujours le mal,
Empoisonné, dit-on, jadis par une pomme,
Et depuis ce temps-là toujours stupide et fou !
J'aimerais mieux croire au serpent, au hibou,
Dit le lion. Mais en Asie
On dit qu'il est un éléphant
Blanc,
Qu'on le fasse venir : telle est ma fantaisie :
L'éléphant blanc toujours fut un très grand seigneur,
Mais au roi des lions il voulut faire honneur.
Il vint donc lentement avec tout son cortège
De bonzes, de magots, que sais-je ?
Bref, il vint. Le lion sous un dais se plaça,
Dais de palmes et de feuillages,
Puis entre les deux personnages
La conférence commença :
- Sire, dit l'éléphant, pour être raisonnable,
Un roi doit se résoudre, avant tous ses projets,
A ne pas manger ses sujets.
- Cette maxime est détestable,
Lui répond le lion : de quoi vivraient les rois ?
- Mangez, dit l'éléphant, des raisins et des noix.
- Qui, moi ? vraiment, je m'imagine
Que tu me prends pour un bramine !
Mes sujets t'ont payé pour tenir ce discours.
Le conseil que je te demande,
C'est comment je pourrais les dévorer toujours
Avec une raison plus grande !
Donnez raison, docteurs, à notre iniquité,
C'est ainsi que les grands cherchent la vérité.