L'Éléphant à la cour du Lion Jean-Auguste Boyer-Nioche (19è siècle)

Malgré sa royauté, tout cassé de vieillesse,
Après vingt ans de règne un lion décéda.
Monseigneur le dauphin, tout bouillant de jeunesse,
Suivant l'antique usage, au défunt succéda.
Des courriers vont partout répandre la nouvelle
De cette époque solennelle :
Tout animal, grand ou petit,
En est instruit,
Pour qu'aucun des sujets, sans une grave offense,
Ne puisse s'empêcher de venir, au jour dit,
Donner au gouvernant preuve d'obéissance.
Toute caverne donc, tout repaire écarté,
Par les courriers royaux est dûment visité ;
Près d'achever leur message,
Ils conduisent leurs pas jusqu'au lointain séjour
De certain éléphant qui, dès longtemps en sage,
Vivait en paix loin de la cour.
En vain notre vieux solitaire
Pesta contre l'événement ;
Comme un autre, au lion il fallut qu'il vînt faire
Son compliment.
Après la fête,
Et le régal
Vraiment royal,
Où chaque bête
S'en donna, parbleu, bel et bien,
Dans une prochaine prairie
L'éléphant gravement porta sa rêverie.
Un gros ours, qui toujours s'ébahissait d'un rien,
Joignant à la sottise une grande jactance,
Aborde le penseur, et lui tient ce discours :
Tu réfléchis sans doute à l'étonnant concours
De grandeur, de noblesse et de magnificence
Que l'on rencontre en notre roi ?
En effet, sois de bonne foi,
Avait-on jamais vu de si belles manières ?
Comme son port est plein de grâce et de fierté !
Avec quel air de dignité
De la plus belle des crinières
Il agite les flots ! À la cour de ses pères,
Non, jamais souverain n'a mieux représenté !
Enfin il n'est rien qui l'égale ;
Tout esprit de rébellion
S'apaise au seul penser de son ire royale...
L'éléphant l'interrompt : L'appareil qu'on étale
Ne peut me faire illusion ;
Tout à travers le roi je sais voir le lion.

Livre I, fable 16




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