La Girafe et l'Éléphant Louis Auguste Bourguin (1800 - 1880)

Je visitais un jour, dans le Jardin des Plantes ,
La superbe girafe et le grave éléphant.
De l'une j’admirais les formes imposantes ,
L’air noble et le maintien séant ;
De l'autre, le front calme et la démarche sage,
Tous deux se récréaient au soleil-du printemps,
Et, n’étant séparés que d'un simple grillage,
Ils causaient pour passer le temps.
Or, voici le discours que la fière sultane ,
Du haut de sa grandeur, tenait à son voisin,
Tandis que du bout de ma canne
De ses traits à mes pieds j'esquissais le dessin :
« Que le peuple Français est un peuple frivole !
Un enfant dans ses jeux est plus constant que lui :
Tel en obtient4 peine un regard aujourd’hui,
Qui la veille était son idole.
Je me souviens encor du jour où dans Paris
Je fis ma triomphale entrée ;
Quels applaudissements ! quelle foule ! quels cris !
D’un pas majestueux.je marchais, décorée
D'une housse à frange dorée,
Tandis qu’à mon aspect tout ce peuple surpris ,
A ma droite, à ma gauche, et devant et derrière,
Se pressait, s’agitait comme une fourmilière.
J’en vis même grimpés jusqu’au faite des toits.
Ainsi je m’avançais vers le palais des rois ;
Car je fus tout d’abord à la cour présentée ,
Puis des ambassadeurs. et des grands visitée.
Que te dirai-je, enfin, pendant plus de trois mois,
Peinte sur tous les murs, au théâtre chantée,
Par les corps savants invitée,
A la mode dictant des lois,
Je fus avec transport accueillie et fêtée.
Quel contraste bizarre, ô mon cher éléphant !
Tu vois comme ce peuple à présent me néglige.
Vers ma personne encor si quelqu'un se dirige,
C'est quelque sot conscrit, quelque bonne d’enfant,
Ou comme en ce moment, un badaud de province. »
(De moi l'orgueilleuse parlait,
Nul autre ne la contemplait,
Et d'ailleurs, je l'avoue, ma mine assez mince,
Jamais un étranger ne m’a pris pour un prince).
Le plus sage des animaux,
D’un ton sentencieux, lui répond en ces mots :
« Tu regrettes en vain la faveur populaire,
La foule ailleurs porte ses pas.
On te voit volontiers, mais on ne revient pas.
Ce changement, crois-moi, n'a rien que d'ordinaire :
Un bramine, autrefois dans le Indes, m'apprit
Que sans les talents, sans l'esprit,
La beauté quelque temps peut bien séduire et plaire,
Mais que toujours son règne est un règne éphémère. »

Livre II, Fable 1, 1856


Le récit, à la première personne, avec force description nous éloigne quelque peu de la forme de la fable, bien que la parole fut donné à un animal.

Commentaires