« Quel triomphe plus éclatant
Obtint jamais, au jour de la victoire,
Un conquérant ivre de gloire ?
Sur son trône élevé, quel monarque puissant
De son peuple soumis obtint un tel hommage ?
Le poète jamais, l'artiste, l'orateur,
D'un tel concours ont-ils reçu l'honneur ?
Quelle pitié, surtout, de voir le sage
A son petit nombre d'élus,
Après de longs travaux, faire comprendre à peine
Les lois de la nature et le prix des vertus !
Dans le jardin des rois admise en souveraine,
Paris entier, en m'offrant ses tributs,
A l'envi, chaque jour, me visite et m'admire ;
Sans combats, sans sueurs, j'obtins un tel empire,
Dès qu'aux yeux des Français tout à coup je parus.
Je me montre, il suffit, et de surprise émue,
Par ses transports la foule me salue.
A ce bon peuple ici j'accorde ma faveur.
Du culte qu'il me rend, non, je ne suis point vaine ;
Pour lui plaire, je me promène,
Je me laisse approcher ; sans faste, sans hauteur,
D'un léger mouvement en balançant ma tête,
De mon col élégant repliant les anneaux,
J'annonce à ces gens-là que je suis satisfaite,
Et je daigne agréer des hommages nouveaux.
De ces vastes jardins trop étroit est l'espace,
Pour recevoir tous ceux à qui je fais la grâce
De les admettre à me faire la cour.
Sur les murs de la capitale,
En gros traits imprimé, partout mon nom s'étale ;
Je règle la mode du jour.
À la bienveillance publique,
En m'inscrivant sur sa boutique,
Je recommande le marchand ;
Rebut du magasin, plus d'une vieillerie,
À l'aide de mon nom à propos rajeunie,
A bon prix retrouve un chaland.
Ces terribles censeurs qu'inquiète et qu'irrite,
Dans leur noir cabinet, tout succès, tout mérite ;
Qui sur les plus beaux noms essayent leurs ciseaux,
Qui ne laissent louer que le seul ministère,
N'ont point osé me déclarer la guerre,
Ont dû me respecter jusque dans les journaux.
Ils ont même pris soin de veiller à ma gloire :
L'académicien dont la célébrité
Attirait à ses cours un nombreux auditoire,
Leur fit craindre pour moi quelque rivalité.
Ils ont sur ses discours commandé le silence,
Devant moi seule abaissant leur puissance,
Et la presse pour moi garde sa liberté,
Lorsque pour tout le reste elle devient servile.
Ah ! Messieurs les censeurs, il était inutile
De rayer d'un journal le nom de Villemain ;
Quand j'occupe à Paris l'attention publique,
Quand je fais oublier jusqu'à la politique,
D'un tel génie on parlerait en vain. »
La girase en nos murs depuis peu descendue,
Modestement s'exprimait en ces mots,
Et son langage était fort applaudi..... des sots.
Un homme de bon sens lui dit : « Oui, je t'ai vue ;
« C'est assez d'une fois, adieu, mais dès demain,
Pour toujours je retourne au cours de Villemain. »
D'un frivole public que le bruyant hommage
De l'orgueilleux un jour flatte la vanité ;
Pour nous, recherchons un suffrage
Qui soit durable et mérité,
Celui qui sur l'estime avec raison se fonde,
Celui qu'accorde, non le monde,
Mais un homme de bien, mais un sincère ami,
Et surtout notre conscience.
Ah ! que d'une vaine apparence
Ton œil ne soit point ébloui !
Laisse passer le torrent de la foule !
Entraîné vers la nouveauté,
Aussi rapidement qu'il s'est précipité,
Bientôt en fuyant il s'écoule.
Du vrai, du bon, plus lents sont les succès,
Mais ils subsistent à jamais.
Qu'importe d'être vu ? Qu'importe qu'on nous nomme ?
Un plus solide fondement
Doit faire apprécier le mérite de l'homme,
Juger ce qu'en lui-même il est réellement.