Présent d'un prince barbaresque,
Une girase gigantesque
Un jour arriva dans Paris ;
Ce fut chose dans ce pays
Tout-à-fait neuve et sans pareille,
Un vrai prodige, une merveille.
Chacun s'empressa pour la voir :
Oubliant tout autre spectacle,
La foule, du matin au soir,
Se venait ébahir devant ce grand miracle.
Hommes, femmes, enfants, grands, petits accouraient ;
Les chiens après elle aboyaient ;
Et les badauds surpris de sa grande stature,
Symbole de hauteur plus que de majesté,
Émerveillés surtout de sa longue encolure
Et de sa bizarre tournure,
Tendaient aussi le cou d'un air tout hébété.
Éléphant et condor, tapir et dromadaire,
Et tous les habitants de ce royal séjour
Où la science tient sa cour,
Étaient abandonnés pour l'heureuse étrangère.
Son nom devint le mot du jour ;
On le donnait à tout pantalon, robe, agrafe, :
Manteau, fichu, bonnet, chapeau,
Jusqu'aux yeux même enfin, pour qu'un objet fût beau,
Il devait être à la girafe.
C'était, il faut en convenir,
De quoi rendre tant soit peu vaine
Sa sublime altesse africaine ;
Aussi commençait- elle à s'en enorgueillir,
A se donner parfois des airs de souveraine,
Lorsqu'un autre important seigneur,
L'éléphant, son voisin, reconnu pour un sage,
Point courtisan et peu flatteur,
S'en vint lui tenir ce langage :

« Ma cousine, permettez-vous
Queje vous fasse part de mon expérience ?
Il est assurément fort doux
D'exciter les transports de cette foule immense ;
Mais il faut être fou pour s'en glorifier.
C'est un plaisir, hélas ! que sa triste inconstance
Vous fait tôt ou tard expier.
Je l'ai connu tout comme un autre :
Je voyais sur mes pas tout un peuple empressé ;
On répétait mon nom, comme on redit le vôtre ;
Mais mon règne a bientôt passé.
De même qu'il faut peu de chose
Pour attirer ainsi leur vaine attention,
Il suffit d'une faible cause
Pour y faire diversion.
Croyez-moi, ma noble cousine,
Votre règne aussi passera ;
Et moins il vous enivrera,
Moins alors vous serez chagrine. »

Ce discours était fort sensé,
Car bientôt, en effet, une mode nouvelle
Entraîna la foule infidèle
Loin du dernier objet qu'elle avait encensé.
Hélas ! de sa faveur imprudent qui se flatte !
Notre girafe, en un seul jour,
Vit déserter toute sa cour
Pour une grenouille acrobate.

Livre III, fable 9




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