Dans une onde tranquille et pure
Dame Girase se mirait,
Et, bien entendu, s'admirait.
« J'ai vraiment un grand air, une belle tournure,
Disait-elle, et sur moi nul ne peut l'emporter.
Peut-être, dans ma taille on pourrait souhaiter
Un peu plus de désinvolture ;
Cela peut s'acquérir, et je vais commencer
Par prendre un bon maître à danser,
Pour joindre l'art aux dons que m'a faits la nature. »
La grande dame mande, en achevant ces mots,
Un singe renommé, Vestris des animaux,
Giles Bertrand ; c'est de cet art futile
Le prosesseur le plus habile.
Le maître arrive donc, suivi de son prévôt,
Sa pochette à la main ; l'on commence aussitôt.
La girase d'abord veut que, par préférence,
On lui montre la révérence ;
C'est la grâce, surtout, qu'elle veut obtenir.
Bertrand enseigne donc comment, en noble bête,
On doit marcher et se tenir ;
Comment il faut porter la tête,
Avec grâce baisser le cou,
Et bien bas plier le genou.
Le maître à merveille s'explique ;
Mais, de la théorie, on passe à la pratique,
Et, sans peine, vous concevez
Combien la chose fut comique ;
Car, faite comme vous savez,
Tout, dans une girafe, à la grâce s'oppose.
Bref, après l'avoir fait vingt fois recommencer,
On fut forcé d'y renoncer.
L'affaire fit du bruit, cela fut même cause
Qu'on dénigra Bertrand ; je suis son défenseur :
Le plus habile prosesseur
Ne saurait enseigner la grâce.
Il peut bien combiner, montrer de jolis pas ;
Mais, quoi qu'il dise, ou quoi qu'il fasse,
La grâce ne se donne pas.