L'Aigle et le Milan Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

Sire Milan se trouvait las
De tous ces oisillons, sa pâture ordinaire.
« Eh bien ! donc, que l'oiseau du maître du tonnerre
Serve lui- même à mes repas ;
Et pourquoi, » disait-il « n'y servirait-il pas ?
Je vais lui déclarer la guerre. »
Et le voilà qui vole à d'illustres combats.
Pauvre milan ! trop téméraire engeance !
D'abord le roi des airs méprise un vil sujet,
Si peu digne de sa vengeance !
L'autre, plus confiant, s'applaudit en secret ;
D'une nouvelle ardeur son courage s'allume,
Il revient, même à l'aigle il arrache une plume.
Quel trophée ! il se croit tout de bon triomphant.
Il portait dans son bec cette dépouille opime,
Quand l'aigle fond sur sa victime,
Aussi rapide que le vent.
Il vous le plume au même instant,
Et puis, prenant l'essor, sur un roc il le laisse,
Nu comme un ver, transi, presque mourant ;
Il n'en meurt pas, mais il attend
Que son plumage pousse et sa force renaisse,
Pour punir, à son tour, un superbe ennemi
De ne l'avoir corrigé qu'à demi.
Enfin, l'instant de la vengeance arrive.
Un jour donc que d'un fleuve il parcourait la rive,
Il aperçoit un pont de bois,
Et dans l'un des piliers une étroite ouverture ;
C'est l'ouvrage du temps, car tout, dans la nature,
Reconnaît et subit ses souveraines lois.
Notre milan y passe, avec un peu de gêne ;
Puis, ensuite, plus aisément ;
À la fin, il y passe et repasse, sans peine,
Même en volant,
Tout d'un élan.
Il pousse un cri de joie, et bientôt, dans la nue,
Voilà de Jupiter le royal messager ;
D'un pôle à l'autre il semblait voyager ;
Le milan frémit à sa vue,
Impatient de se venger.
Le signal est donné, l'aigle, plein de furie,
S'élance ; à cette fougue opposant l'industrie,
Notre milan, d'abord, se dérobe à ses coups.
Comme il sonna la charge, il sonne la retraite ;
L'embuscade était toute prête,
Il y sait d'un rival attirer le courroux.
L'aigle s'obstine à l'y poursuivre ;
Il pense le tenir, quand lui-même se livre ;
Malgré tous ses efforts, il y reste enlacé,
Et le milan, débarrassé,
Se met à le plumer, lui rendant la pareille :
« Sire, écoutez, dit-il, ce que je vous conseille,
C'est de vous souvenir que, des grands aux petits
Tout peut se pardonner, excepté le mépris. »

Livre V, fable 15




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