Un aigle vers son aire emportait un agneau.
Je ne sais pas si le fardeau
Était trop lourd, ou si, par maladresse,
L'oiseau de Jupiter lâcha prise un moment ;
Mais l'autre vint très-pesamment
Tomber hélas ! dans sa détresse,
Auprès d'une forêt. Une louve en sortait,
Et courait dans les champs chercher sa nourriture.
Elle aperçoit l'agneau, c'était ample pâture :
Aussi de s'en saisir ; mais l'aigle descendait
Au même instant pour le reprendre.
Notre louve s'en moque, et, sans vouloir rien rendre,
Suit son chemin. L'aigle était furieux :
Tremble, s'écria-t-il, redoute ma colère,
Et crains que de ton vol je n'instruise les Dieux.
De leurs foudres vengeurs je suis dépositaire ;
Pour punir un affront je puis tout auprès d'eux.
Si la louve avait été sage,
Elle eût rendu la proie, et c'était bien le mieux :
Va, remonte, dit-elle, au séjour de l'orage,
Tu ne gagneras rien. C'était à toi tantôt,
Mais à présent c'est autre chose.
Si tu m'en crois, va-t'en vite et pour cause,
Car si tu m'approchais, je t'apprendrais bientôt
Que je suis une louve et que tu n'es qu'un sot.
Ah ! par le Styx ma fureur est extrême,
Dit l'aigle en frémissant ; mais non, tu ne vaux pas
Que j'invoque sur toi la justice suprême :
Sans que les Dieux prêtent leur bras,
Je saurai te punir moi-même.
A ces mots il part comme un trait.
La louve, soupçonnant ce qu'elle avait à craindre,
Rentre aussitôt dans la forêt ;
Mais elle eut beau courir, elle ne put atteindre
Avant l'oiseau du ciel son repaire secret.
Elle arrive bientôt, furieuse, écumante :
Il n'est déjà plus tems ! L'aigle s'était vengé,
Et de ses louveteaux la famille expirante
Se débattait en vain sous la serre sanglante
Du terrible ennemi qu'elle avait outragé.
Va, dit l'aigle, je viens de faire
Ton supplice, il est vrai ; mais triomphe en ton cœur
Je me punis aussi, car je me fais horreur !
Tu m'as rendu cruel et sanguinaire ;
Mais apprends désormais, apprends à ménager
Ton ennemi lorsqu'il peut se venger.