Certaine Taupe, un peu commère,
Après avoir rêvé mainte et mainte chimère,
Dit un matin à son réveil :
Je veux enfin voir le soleil.
S'il faut en croire le vulgaire,
On ne peut soutenir son éclat radieux.
Eh bien ! moi, je l'oserai faire :
Car j'ai, dieu merci, de bons yeux.
-Toi ? lui crie un Hibou. -Moi-même. -Es-tu donc folle ?
-Comment ? - Tu n'y vois pas. - Oh ! j'y vois mieux que toi.
-Tu radotes, sur ma parole ;
Oser te comparer à moi !
Moi, j'observe à mon gré la lune, les étailes,
De la plus sombre nuit je puis percer les voiles,
Et l'objet le moins apparent
Ne saurait échapper à mon œil pénétrant.
Donc c'est à moi de voir l'astre de la lumière.
Quant à toi, pauvre aveugle, hélas !
Rentre au fond de ta taupinière.
Cet avis t'est donné par l'oiseau de Pallas.—
A ce langage magnifique,
On voit qu'il avait fait son cours de rhétorique.
Dame Taupe au Hibou fit- elle une réplique ?
L'histoire n'en rapporte rien ;
Mais elle apprend qu'un Aigle entendit l'entretien,
Que, sans bouger, que, sans mot dire,
L'oiseau de Jupiter se contenta d'en rire,
Et j'en conclus qu'il fit très bien.
Cependant le soleil, sorti du sein de l'onde,
De l'aurore a séché les pleurs.
Il sème l'horizon des plus vives couleurs,
Et rend déjà la vie au monde.
Son char enfin s'élève à la voûte des cieux,
Et, dans sa brillante carrière,
Verse un océan de lumière
Dont l'éclat fait baisser les yeux.
De nos rivaux alors que devient la gageure ?
Que fait surtout maître Hibou ?
Ce qu'il fait ? oh ! vraiment, une triste figure.
Il s'évertue en vain pour regagner son trou ;
Et le pauvret, qui n'y voit goutte,
Au péril de ses jours, va se heurtant en route,
Tantôt contre un buisson, et tantôt contre un mur.
-Ah ! dit-il, le soleil rend l'univers obscur.—
C'était pour un Hibou raisonner à merveille.
De son côté, la Taupe était comme à l'affût,
Et, le soleil présent, attendait qu'il parût.
Au défaut d'yeux, la dame a fine oreille :
Elle entend mille oiseaux qui de l'astre du jour
Célèbrent en chœur le retour.
- Où donc est-il ? dit la vaine pécore.
J'ai beau chercher, je ne vois rien,
Et pourtant je regarde bien.
L'aventure m'étonne. Elle y songeait encore, --
Lorsque l'Aigle, prenant un essor glorieux,
Dans son rapide vol s'éloigne de la terre,
Parcourt les régions qu'habite le tonnerre,
Et sur l'astre éclatant ose fixer les yeux.
A l'application : de la vérité même
Le soleil est ici l'emblème ;
Mais pour un Aigle, hélas ! faut-il voir parmi nous
Tant de Taupes et de Hiboux !