L'Aigle, s'abattant dans la plaine,
De la Renarde un jour saisit les nourrissons,
Dans ses ongles crochus les tient comme à la chaîne,
Et les porte en son aire, à la cime d'un chêne,
Pour en régaler ses Aiglons.
La Renarde si haut voyant l'Aigle envolée,
Comme elle, n'étant point ailée,
La suit, tant qu'elle peut, de la voix et de l'œil,
Et de loin la conjure, en mère désolée,
De ne lui point causer un si funeste deuil.
C'étaient des cris à pierre fendre !
Mais elle s'évertue et gémit sans succès ;
Car l'oiseau ravisseur, qui se croit hors d'accès,
Ne fait pas semblant de l'entendre.
La Renarde en fureur court sans perdre un moment,
Sur un autel voisin prend un tison fumant,
Et menace aussitôt d'embraser les broussailles
Dont le vieux chêne est entouré.

« Ah ! s'il faut voir périr les fruits de mes entrailles,
Dit-elle, célébrons de doubles funérailles ;
Que l'arbre aux flammes soit livré!
Qu'il soit tout entier dévoré,
Et que mon sang dans sa ruine
Fasse partager son malheur
A cette famille assassine
Qui peut mépriser ma douleur ! »
Du sommet de sa forteresse
L'Aigle en bas voit briller la torche vengeresse.
Dieu ! les Aiglons sans plume encor,
Hors d'état de prendre l'essor,
Lafont ressouvenir, à son tour, qu'elle est mère.
Elle s'abaisse à la prière ;
Les Renardeaux n'ont point de mal ;
Sains et saufs, comme ils sont, elle offre de les rendre ;
Et l'autre lui fait grâce en daignant les reprendre
Et poser le tison fatal.

Que ce trait-là vous avertisse,
Ô vous grands dont le faible éprouve l'injustice !
Tout tremble devant vous ; mais un juste retour
Des petits écrasés ouvre l'intelligence ;
Il allume chez eux l'instinct de la vengeance ;
Et vous tremblez à votre tour.
La fable vous l'apprend. La muse de l'histoire
Vous en offre, de même, un exemple immortel :
Tyrans ! ayez dans la mémoire
La flèche de Guillaume Tell.

Livre II, fable 10




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