La Cloche et son Battant Nicolas François de Neufchâteau (1750 - 1828)

« Quelle rage de toi s'empare ?
Disait la Cloche à son Battant :
Mais quelle invention barbare
De me frapper à chaque instant ?
Qui t'a rendu si tourmentant ?
A quoi bon tout ce tintamarre ?
A quoi bon ? moi, je n'en sais rien »,
Dit le Battant ; « mais je crois bien
Que la Cloche exprès est fondue,
Et dans cette tour suspendue,
Pour que je la fasse sonner,
Et tinter, et carillonner.
Contre moi ne sois pas émue ;
Car ngus obéissons tous deux
À la corde qui nous remue :
Tu peux la gronder, si tu veux. —
Ainsi contre moi tout s'accorde
Répond la Cloche, à ce propos !
Est-ce donc toi, maudite corde,
Qui, sans nulle miséricorde,
Conspires contre mon repos ? » —
 son tour la corde s'excuse ;
Elle ne fait que son devoir :
Ce n'est pas que le bruit l'amuse,
Car elle agit sans le savoir :
Si c'est un tort, que l'on accuse
Cet homme qui la fait mouvoir !
Mais la Cloche en vain questionne
Le sonneur, dont le poignet lourd
Fait que sans cesse elle bourdonne :
Du fracas qu'il occasionne
Le pauvre homme est devenu sourd.
Ainsi l'histoire est terminée ;
Et la Cloche, dans son beffroi,
Reste désormais condamnée
 sonner, sans savoir pourquoi.

L'on éprouve chose pareille,
Quand on cherche d'où sont venus
Les maux publics les plus connus :
Leurs auteurs font la sourde oreille.
De l'un à l'autre ils ont grand soin
De renvoyer qui les semonce :
En remontant, on irait loin ;
Mais on n'aurait point de réponse.

Livre II, fable 11




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