Nature est une bonne mère.
Avant qu'un fruit mûrisse, et nous soit salutaire,
Le vert est sa couleur. Croissant à notre insu,
Au milieu du feuillage, il est inaperçu ;
Il n'a qu'une saveur amère.
Mûrit-il, aussitôt nature prend le soin
De nous en avertir.' Sa bonté le colore,
Le rougit, l'empourpre, ou le dore,
Pour le faire voir de plus loin.
Par malheur, ce signal que la nature donne
N'est pas pour l'homme seul. Les Oiseaux ont dés yeux j
Et les fruits de l'été, comme ceux de l'automne,
Leur paraissent délicieux.
Mathurin maudissait leurs fréquentes visites.
Dès que son cerisier vit rougir ses rameaux,
H attira de loin un million d'Oiseaux ;
Et comment écarter ces fâcheux parasites ?
Notre jardinier veut les chasser par le bruit,
Et, montant sur Marbre, en cachette,
Dans l'obscurité de la nuit,
Au plus haut des rameaux suspend une clochette.
À la pointe du jour un zéphir l'agita,
Et voilà que l'airain tinta.
Les Oiseaux de bonne heure au verger se rendirent.
Clochette de tinter : sitôt qu'ils l'entendirent,
Toute la troupe déserta.
Ils disaient, en fuyant : d'où naît un tel vacarme ?
À l'heure où Mathurin est encore endormi j
Un inconnu, sans doute, un nouvel ennemi,
Dans le verger sonne l'alarme.
Pourquoi, cria l'un d'eux, montrer si peu de cœur ?
Prenons l'attitude guerrière ;
Affrontons un péril peut-être imaginaire.
Le bruit doit-il nous faire peur ?
Volons en bataillon y à l'exemple des grues
Qui voyagent au sein des nues ;
A son tour, l'ennemi connaîtra la terreur.
On voulut le tenter : vain espoir ! la Clochette,
En redoublant son carillon,
Épouvanta le bataillon,
Qui, de fort loin, fit sa retraite.
L'arbre fut respecté. Cependant, un matin,
Au pauvre cerisier le vent livra la guerre.
La Clochette sonnait plus fort qu'à l'ordinaire,
Secouant le rameau si rudement qu'enfin,
Surchargé du poids de l'airain,
Il se brise, et voilà le carillon par terre.
Hélas ! il ne disait plus mot
Les Oiseaux rassurés reviennent aussitôt :
Ils considèrent la Clochette.
Comment ! lui disent-ils, c'est toi qui nous fis peur !
Ah ! Clochette,-pour ton honneur,
Il ne fallait pas choir, et devenir muette.
Dans un poste élevé, tel sot, autour de soi,
Intimide les gens, on ne sait trop pourquoi ;
Mais, sitôt qu'il fait la culbute,
Sitôt qu'il est privé d'appui,
Au seul mépris il est en butte :
On le craignait hier, on le raille aujourd'hui ;
Il n'est plus rien après sa chute.